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Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/175

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étagère, un plateau sur lequel brillaient trois verres de Venise peinturlurés d’une fumée d’opale, à côté d’un flacon de vin paillé et d’une odorante boîte de lourds cigares cubains.

Elle posa le plateau sur une crédence, versa de haut le vieux vin espagnol, puis, prenant deux verres entre ses mains étincelantes, vint les offrir à ses visiteurs.

Ensuite, s’en étant allée remplir le dernier verre, elle se détourna, d’un mouvement charmant. S’appuyant à l’une des colonnes du souterrain, elle éleva le bras, tout droit, au-dessus de sa tête voilée, en disant de sa voix de mélancolie :

― Milord, à vos amours !

Il fut impossible à lord Ewald de froncer le sourcil à cette parole, tant l’intonation grave avec laquelle ce toast fut porté, au milieu du silence, fut exquise et mesurée de plus haut que toute convenance : le gentilhomme en resta muet d’admiration.

Hadaly jeta, gracieusement, vers la lampe astrale, le vin de son verre. Le Jerez-des-Chevaliers retomba, en gouttelettes illuminées, comme une rosée d’or liquide, sur les poils fauves des dépouilles léonines qui surchargeaient le sol.

― Ainsi, dit Hadaly d’une voix un peu enjouée, je bois, en esprit, par la Lumière.

― Mais, enfin, mon cher enchanteur, murmura lord Ewald, comment se fait-il que miss Hadaly puisse répondre à ce que je lui dis ? Il me semble de toute impossibilité qu’un être quelconque ait prévu mes questions, au point, surtout, d’en avoir gravé d’avance les réponses sur de vibrantes feuilles d’or. Ce phénomène, je trouve, est capable de