Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/340

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Son cœur était confondu, humilié, foudroyé.

Il embrassa, d’un coup d’œil, le ciel et la terre, avec un rire vague, sec, outrageant, qui renvoyait à l’Inconnu l’injure imméritée que l’on avait faite à son âme. Et ceci le remit en pleine possession de lui-même.

Alors il vit s’allumer, tout au fond de son intelligence, une pensée soudaine, plus surprenante encore, à elle seule, que le phénomène de tout à l’heure. C’était qu’en définitive la femme que représentait cette mystérieuse poupée assise à côté de lui, n’avait jamais trouvé en elle de quoi lui faire éprouver le doux et sublime instant de passion qu’il venait de ressentir.

Sans cette stupéfiante machine à fabriquer l’Idéal, il n’eût peut-être jamais connu cette joie. Ces paroles émues de Hadaly, la comédienne réelle les avait proférées sans les éprouver, sans les comprendre : ― elle avait cru jouer « un personnage », ― et voici que le personnage était passé au fond de l’invisible scène et avait retenu le rôle. La fausse Alicia semblait donc plus naturelle que la vraie.

Il fut tiré de ces réflexions par une douce voix :

Hadaly lui disait à l’oreille :

― Es-tu bien sûr que je ne sois pas là ?

― Non ! répondit lord Ewald : qui es-tu ?