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Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/351

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si peu qu’un étonnement efface mon être et le voile ! Que veux-tu ! Ma vie tient encore à moins que celle des vivants.

Admets mon mystère tel qu’il t’apparaît. Toute explication (oh ! si facile !) en serait, sous un peu d’analyse, plus mystérieuse encore, peut-être, que lui-même, hélas ! mais serait, en toi, mon anéantissement. ― Ne préfères-tu pas que je sois ? ― Alors, ne raisonne point mon être : subis-le délicieusement.

Si tu savais comme la nuit de mon âme future est douce et depuis combien de rêves tu m’attends ! Si tu savais quels trésors de vertiges, de mélancolie et d’espérance cache mon impersonnalité ! Ma chair éthérée, qui n’attend qu’un souffle de ton esprit pour devenir vivante, ma voix où toutes les harmonies sont captives, mon immortelle constance, n’est-ce donc rien, au prix d’un vain raisonnement qui te « prouvera » que je n’existe pas ? — Comme si tu n’étais pas libre de te refuser à cette vaine et mortelle évidence, alors qu’elle est elle-même si douteuse, puisque nul ne peut définir où commence cette Existence dont il parle ni en quoi son essence ou sa notion consistent. ― Est-il à regretter que je ne sois pas de la race de celles qui trahissent ? de celles qui acceptent, d’avance, dans leurs serments, la possibilité d’être veuves ? Mon amour, pour être pareil à celui dont palpitent les Anges, a des séductions peut-être plus captivantes que celui des sens terrestres, où dort toujours l’antique Circé !

Après un instant, Hadaly, considérant celui qui