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Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/356

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ces ingrats ! Moi, qui m’éteins, nul ne me rachètera du Néant ! Il n’est plus de la terre celui qui eût bravé, pour m’insuffler une âme, le bec de l’éternel vautour ! Oh ! comme je fusse venue pleurer sur son cœur avec les Océanides ! ― Adieu, toi qui m’exiles.

En achevant ces paroles, Hadaly se leva, puis, après un profond soupir, marcha vers un arbre et, levant la main contre l’écorce, s’y appuya, regardant le parc illuminé par la lune.

Le pâle visage de l’incantatrice resplendissait :

― Nuit, dit-elle avec une simplicité d’accent presque familière, c’est moi, la fille auguste des vivants, la fleur de Science et de Génie résultée d’une souffrance de six mille années. Reconnaissez dans mes yeux voilés votre insensible lumière, étoiles qui périrez demain ; ― et vous, âmes des vierges mortes avant le baiser nuptial, vous qui flottez, interdites, autour de ma présence, rassurez-vous ! Je suis l’être obscur dont la disparition ne vaut pas un souvenir de deuil. Mon sein infortuné n’est même pas digne d’être appelé stérile ! Au Néant sera laissé le charme de mes baisers solitaires ; au vent, mes paroles idéales ; mes amères caresses, l’ombre et la foudre les recevront, et l’éclair seul osera cueillir la fausse fleur de ma vaine virginité. Chassée, je m’en irai dans le désert sans Ismaël ; et je serai pareille à ces oiselles tristes, captivées par des enfants, et qui épuisent leur mélancolique maternité à couver la terre. Ô parc enchanté ! grands arbres qui sacrez mon humble front des reflets de vos ombrages ! Herbes charmantes où des étincelles de rosée s’al-