Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/358

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femme en lui, car l’Idéal violé ne pardonne pas et nul ne joue impunément à la divinité !

Je retourne en mes caveaux resplendissants. ― Adieu, toi qui ne peux plus vivre !

Halady appuya son mouchoir à ses lèvres et, chancelante, s’éloigna lentement.

Elle marchait dans l’allée vers le seuil lumineux où veillait Edison. Sa forme bleue et voilée dépassait chaque arbre, et, comme un rayon l’éclaira dans une embellie, elle se détourna vers le jeune homme. Silencieuse, elle ramena ses deux mains à sa bouche et lui envoya un baiser avec un effrayant mouvement de désespoir. Alors, éperdu, hors de lui-même, lord Ewald marcha vivement vers elle, la rejoignit et lui jeta son bras juvénilement autour de la taille, qui se ploya, défaillante, en cet enlacement.

― Fantôme ! Fantôme ! Hadaly ! dit-il, ― c’en est fait ! Certes, je n’ai pas grand mérite à préférer ta redoutable merveille à la banale, décevante et fastidieuse amie que le sort m’octroya ! Mais, que les cieux et la terre le prennent comme bon pourra leur sembler ! je résous de m’enfermer avec toi, ténébreuse idole ! Je donne ma démission de vivant ― et que le siècle passe !… car je viens de m’apercevoir que, placées l’une auprès de l’autre, c’est, positivement, la vivante qui est le fantôme.

Hadaly, à ces paroles, sembla tressaillir : puis, avec un mouvement d’infini abandon, elle noua ses bras à l’entour du cou de lord Ewald. De son sein haletant, qu’elle pressait contre lui, sortait une senteur d’asphodèles : ses cheveux, se dé-