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Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/77

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tant » et qui leur semble donner, par leur seul énoncé, du « poids » à la vie. Par exemple, les mots : « sérieux ! ― positif ! ― bon sens !… etc., proférés quand même, à tout hasard. Nos maniaques s’imaginent, et souvent avec raison, que la seule vertu de ces syllabes confère, à qui les articule, même distraitement, un brevet de capacité. De sorte qu’ils ont pris la lucrative et machinale habitude de prononcer, constamment, ces vocables, ― ce qui, à la longue, pénètre ces hommes de l’hystérie abrutissante dont ces mêmes vocables sont imbus. Le plus étonnant est qu’ils font des dupes, qu’ils arrivent, parfois à disposer du pouvoir gouvernemental en divers États, alors que leur souriante, suffisante et quiète nullité ne mériterait que l’hospice. Eh bien, l’âme de cette femme que j’aime, hélas ! est sœur de celles-là : miss Alicia, dans la vie quotidienne, ― c’est la déesse Raison.

― Bien ! dit Edison. Continuons. Si je vous ai compris, miss Alicia Clary n’est pas une jolie femme ?

― Certes, non ! dit lord Ewald. En vérité, si elle n’était que la plus jolie des femmes, je ne lui accorderais pas tant d’attention, croyez-le. Vous connaissez l’adage : l’amour du Beau, c’est l’horreur du Joli. Or, tout à l’heure, sans hésiter, j’ai cru pouvoir évoquer, à son sujet, l’écrasante forme de la Venus victrix. Simple question : l’homme qui trouverait « jolie » la Venus victrix serait-il intelligible ? Donc, l’aspect d’une créature humaine capable de supporter, sans fléchir, ― pour l’instant du moins, ― le poids d’une comparaison sérieuse avec un tel marbre, ne saurait, vraiment, en rien éveiller dans un esprit bien portant l’impression