Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

fait éprouver la sensation d’un temple profané, non par la rébellion, l’impiété, la barbarie et leurs torches sanglantes, mais par l’ostentation intéressée, l’hypocrisie timorée, la vaine et machinale fidélité, la sécheresse inconsciente, la superstition incrédule, ― et de qui ? de la prêtresse repentie de ce temple même dont l’idole, au-dessous du blasphème, mérite à peine le sourire ― et de laquelle elle me débite, cependant, sans cesse, d’un ton compoinct et rassis, la légende vide.

― Avant de conclure, dit Edison, ne m’avez-vous pas dit que c’était, malgré ce manque de vibrations, une fille de race ?

Une imperceptible rougeur monta aux joues de lord Ewald à cette parole.

― Moi ? Je ne crois pas avoir dit cela, répondit-il.

― Vous avez dit que miss Alicia Clary appartenait à « quelque bonne famille, d’origine écossaise, anoblie récemment. »

― Ah ! parfaitement, dit lord Ewald ; mais ceci n’est pas la même chose. Ce n’est même pas un éloge. Au contraire. En ce siècle, il faut être ― ou naître ― noble, l’heure étant pour longtemps passée où l’on pouvait le devenir. La noblesse, en nos pays, se confère, aujourd’hui, en souriant. Et nous estimons qu’il ne peut être que nuisible à l’essence, quand même réfractaire, de certaines lignées, d’être inoculées, à l’étourdie, de ce douteux et affadi vaccin, dont tant de bourgeoisies indélébiles ne sont qu’empoisonnées.

Et, comme perdu en une réflexion inconnue, il ajouta, très bas, avec un grave sourire :