Page:Villiers de L’Isle-Adam - Axël, 1890.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Souvenez-vous, Sara. Votre père et votre mère, aux approches de la mort, me mandèrent en leur manoir pour vous confier à moi. Depuis sept ans vous vivez en ce cloître, libre comme une enfant dans un jardin. Cependant, les jeux des enfants vous furent toujours étrangers et je ne vous ai jamais vue sourire. Que peut signifier une nature aussi studieuse et aussi solitaire ? — Est-ce de relire sans cesse tous nos vieux livres qui vous humiliera l’esprit ?

Écoutez, Sara, vous êtes une âme obscure. Sur votre visage toujours pâle brille le reflet d’on ne sait quel orgueil ancien. Il sommeille en vous… — oh ! les harmonies que vous tirez de l’orgue vous ont trahie !… Elles sont tellement sombres que j’ai dû prier sœur Aloyse de le tenir à votre place. — Malgré la réserve et la simplicité de vos rares paroles et de tous vos actes, je vous ai méditée longtemps et attentivement. Je sens que je ne vous connais pas. Vous vous soumettez avec une sorte d’indifférence taciturne aux pratiques de notre obédience. — Prenez garde à l’endurcissement du cœur !

Ma fille, vous êtes une lampe dans un tombeau : je veux vous raviver pour l’Espérance. Vanité que la vie sans la prière ! La vingt-troisième année de vos jours s’est accomplie ; ce qu’il faut,