Page:Villiers de L’Isle-Adam - Axël, 1890.djvu/296

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

reux dont la nature est de ne pouvoir mesurer qu’à la Sensation la valeur des réalités, le soin de ramasser les miettes du festin. — J’ai trop pensé pour daigner agir !

Sara, troublée et inquiète

Ce sont là des paroles surhumaines : comment oser les comprendre ! — Axël, ton front doit brûler ; tu as la fièvre : laisse ma douce voix te guérir !

Axël, avec une impassibilité souveraine

Mon front ne brûle pas ; je ne parle pas vainement — et la seule fièvre dont il faille, en effet, nous guérir est celle d’exister. — Chère pensée, écoute ! et, toi-même décideras, ensuite. — Pourquoi chercher à ressusciter une à une des ivresses dont nous venons d’éprouver la somme idéale et vouloir plier nos si augustes désirs à des concessions de tous les instants où leur essence même, amoindrie, s’annulerait demain sans doute ? Veux-tu donc accepter, avec nos semblables, toutes les pitiés que Demain nous réserve, les satiétés, les maladies, les déceptions constantes, la vieillesse et donner le jour encore à des êtres voués à l’ennui de continuer ?… Nous, dont un Océan n’apaiserait pas la soif, allons-nous consentir à nous satisfaire de quelques gouttes d’eau, parce que tels insensés ont