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Scène IX

SARA, seule
Sara jette la hache, d’un geste fait retomber la pierre, et pousse, impassiblement, du bout de sa sandale, chaque verrou.
Cela fait, elle s’approche de la fenêtre et secoue la corde du vitrail ; la fenêtre s’ouvre avec violence, toute grande. Une bouffée de neige et de vent nocturne envahit l’église et éteint les cierges.
Alors Sara déchire, dans l’ombre, le drap funéraire et noue solidement l’une à l’autre les deux moitiés. L’instant d’après, ayant jeté un froc de pèlerin sur ses vêtements de fête, et debout sur la chaise abbatiale, elle atteint, d’un élan svelte et vigoureux, l’un des barreaux de fer, le saisit d’une main et se dresse d’un bond sur le bord de la fenêtre.
Puis elle se glisse, entre les barreaux, sur le bord extérieur, et regarde, au dehors, en bas, dans l’espace, au loin, dans l’infini.
Au dehors, la nuit apparaît, affreuse, obscure, sans une étoile. Le vent siffle et rugit. La neige tombe.
Sara se retourne, attache à un barreau le drap tordu et déchiré, en éprouve le nœud d’une secousse, ramène sur sa tête la capuce grise de son froc, — puis elle se baisse, décroît et disparaît, au dehors, suspendue, dans la nuit pluvieuse et glacée, silencieusement.