Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/110

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que. Aussi, regardait-il désormais en camarade son débiteur, lequel depuis lors, était devenu, aux yeux du Bienfaiteur, simplement un « drôle de corps ! », pour me servir d’une heureuse expression bourgeoise.

Soudain, voici, que, relevant la tête, l’inconnu, fixant sur son « ami » de calmes prunelles, se prit à lui notifier, avec le plus grand sang-froid, les absurdités suivantes :

— Ô cinq fois sensible et serviable ami, qui suis-je, hélas ! pour mériter ainsi, de ton cœur, l’évidente sympathie dont tu me combles ? Un musicien ! un crin-crin ! le dernier des vivants ! l’opprobre de la race humaine. Eh bien, en retour, laisse-moi t’offrir une franche confidence. Si tu daignes distraitement l’écouter, le sens de ce que je vais t’annoncer t’échappera fort probablement ; — car nul n’entend, ici-bas, que ce qu’il peut reconnaître, — or comme, en tant qu’intelligence, tu es un désert où le son même du tonnerre s’éteindrait dans la stérilité de l’espace, j’ai lieu de redouter, pour toi, du temps perdu. N’importe, je parlerai.

— Quels ingrats, tous ces artistes !… murmura, comme à part soi, le sévère industriel.

— Voici donc, ce nonobstant, reprit l’Ingrat, ce que je me propose d’accomplir d’ici peu d’années, — étant de ceux qui vivent jusqu’à l’Heure Divine…

(Ces deux derniers mots firent tressaillir, malgré lui, le négociant hors ligne : une vive inquiétude — hélas ! elle ne devait point tarder