Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/112

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ton inattention, et ton Ingrat va, selon son devoir, te distraire… presque pour ton argent. Je dis presque, attendu, je le sais, que ma vie même, sacrifiée pour la moindre de tes fantaisies, ne saurait m’acquitter, à tes yeux, de tous tes bienfaits.)

L’heure viendra, d’abord, où les rois, les empereurs victorieux de l’Occident, les princes et les ducs militaires, oublieront, au fort de leurs victoires, les vieux chants de guerre de leurs pays, pour ne célébrer ces mêmes victoires immenses et terribles (et ceci dans le cri fulgural de toutes les fanfares de leurs armées !…) qu’avec les crincrins de mon insanité !… Toutes ces musiques n’exécuteront pas d’autres chants de gloire que mes élucubrations, à l’heure du triomphe ! Ce premier « succès » obtenu, je prierai, quelques années après, ces princes, rois, ducs et vieux empereurs tout-puissants, de vouloir bien se déranger pour venir écouter l’une de mes plus nébuleuses productions. Ils n’hésiteront pas à délaisser les soucis politiques du monde, à des heures solennelles, pour accourir, et au jour fixé, à mon rendez-vous. Et je les tasserai, par quarante degrés de chaleur, autour du parterre d’un Théâtre que j’aurai fait construire à ma guise, aussi bien à leurs frais qu’à ceux de mes amis et ennemis. Ces compassés exterminateurs écouteront, au dédain de toutes autres préoccupations, avec recueillement, pendant des trentaines d’heures, — quoi ?… ma musique. — Pour solder les constructeurs de l’édifice, je manderai des confins de la terre, du Japon et de