Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/145

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vraiment à mourir de rire, — et de nous en faire, obscurément, accroire sur notre « mérite » ! Et, ceci, alors que — si nous eussions même accompli tout notre devoir — ce serait à nous, au contraire, de remercier le pauvre de nous avoir fourni l’occasion de nous acquitter envers lui !

Bref, nous ne pouvons durant au moins quelques secondes d’attendrissement vague sur nous-mêmes oublier notre don, — et menteur qui le nie ! Nous sommes, presque tous, foncièrement, assez frivoles et assez vains pour que la première arrière-pensée qui s’éveille alors en nous, à notre insu, soit de nous dire : « Voici que j’ai donné une monnaie, dix sous, cinq francs, — à ce famélique, à ce mal vêtu (sous-entendu : qui est, par conséquent, mon inférieur !!), hé bien ! tout le monde n’est pas aussi GÉNÉREUX que moi. » Quelle burlesque hypocrisie ! quelle honte ! — La seule aumône méritant ce grand nom est celle que l’on effectue joyeusement, très vite, sans y songer ; — ou, si l’on ne peut s’exempter d’y songer, en demandant humblement pardon à Dieu, le rouge au front, de n’avoir offert qu’un aussi faible acompte. Car si l’aumône est commise avec ce mondain sentiment qui en extrait, pour nous, une sorte de piédestal où, Stylites anodins, nous nous juchons, en secret, non sans complaisance, — et que, grâce à telle circonstance ambiante, cette aumône tourne brusquement, en — par exemple — quelque farce macabre, il apparaîtra que cette aumône est, en réalité, si peu de chose qu’elle et la farce qui l’aura