Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/163

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vécue. Et, des reflets ternes de la brune sur les pierres et les vitres, de l’impression nulle et morne dont l’espace est pénétré — se dégage une si poignante sensation de vide, que l’on se croirait chez des défunts.

Or, chaque jour, à cette heure vespérale, en l’une de ces petites villes, et dans la plus déserte allée du mail, se rencontrent, d’habitude, deux promeneurs, habitants assez anciens déjà de la localité. Tous deux, certes, doivent avoir franchi la cinquantaine : leur mise recherchée, leur fin linge à dentelles, le suranné de leurs longs vêtements, le brillant de leurs chapeaux large bord, leur tenue encore fringante, leurs allures, enfin, parfois étrangement conquérantes, tout, jusqu’aux boucles de leurs trop élégants souliers décèle on ne sait quels verts-galants endurcis.

À quoi riment ces airs vainqueurs, au milieu d’un agrégat d’êtres négatifs, d’une bisexualité quelconque, en le mental desquels l’interjection, « Que faire !… » ne saurait surgir ?

Le jonc à pomme d’or aux doigts, le premier advenu s’engage sous les arbres solitaires où bientôt survient son ami. Chacun, à tour de rôle, sur de mystérieuses pointes de pieds, s’approche : puis, se penchant à l’oreille de l’autre, et protégeant d’une main le chuchotement de ses paroles, murmure de fort surprenantes phrases analogues, par exemple, à celle-ci (aux noms près) :

— Ah ! mon cher ! la Pompadour a été charmante, hier au soir !