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Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/20

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protectrice caserne de gendarmerie — sise aux confins des faubourgs, sur la route.

Là, vivait depuis longtemps un vieil israélite qu’on nommait le père Mosé. Ce n’était pas un méchant juif, malgré sa face éteinte et son front d’orfraie dont un bonnet collant, d’étoffe et de couleur désormais imprécises, moulait et enserrait la calvitie. Encore vert et nerveux, d’ailleurs, il eût bien été capable de talonner d’assez près Ahasvérus, en quelques marches forcées. Mais il ne sortait guère et ne recevait qu’avec des précautions extrêmes. La nuit, tout un système de chausse-trapes et de pièges à loups le protégeait derrière sa porte mal fermée. Serviable, — surtout envers ses coreligionnaires, — aumônieux toutefois envers tous, il ne poursuivait que les riches, auxquels, seulement, il prêtait, préférant thésauriser. — De cet homme pratique et craignant Dieu, les sceptiques idées du siècle n’altéraient en rien la foi sauvage, et Mosé priait entre deux usures aussi bien qu’entre deux aumônes. N’étant pas sans un certain cœur étrange, il tenait à rétribuer les moindres services. Peut-être même eût-il été sensible au frais paysage qui s’étendait devant sa fenêtre, alors qu’il explorait, de ses yeux gris clair, les alentours… Mais une chose lointaine, établie sur une petite éminence et qui dominait les prés riverains en aval du fleuve, lui gâtait l’horizon. Cette chose, il en détournait la vue avec une sorte de gêne, d’ailleurs assez concevable, — une insurmontable aversion.

C’était un très ancien « calvaire », toléré, à titre