Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/27

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Angelus passait dans le vent, la tremblante enfant infortunée marchait à travers les rues de neige et, ne sachant où aller, se dirigea vers le calvaire.

Là, poussée très probablement par les anges, dont les ailes soulevèrent ses pas sur les blancs degrés, elle s’affaissa au pied de la Croix profonde, heurtant de son corps le bois éternel, en murmurant ces ingénues paroles : « Mon Dieu, secourez-moi d’une petite aumône, ou je vais mourir ici. »

Et, chose à stupéfier l’entendement, voici que, de la main droite du vieux Christ, vers qui les yeux de la suppliante s’étaient levés, une pièce d’or tomba sur la robe de l’enfant, — et que ce choc, avec la sensation douce et jamais troublante d’un miracle, la ranima.

C’était une pièce déjà séculaire, à l’effigie du roi Louis XVI, et dont l’or jauni luisait sur la jupe noire de l’élue. Sans doute, aussi, quelque chose de Dieu, tombant, en même temps, dans l’âme virginale de cette enfant du ciel en raffermit le courage. Elle prit l’or, sans même s’étonner, se leva, baisa, souriante, les pieds sacrés — et s’enfuit vers la ville. Ayant remis à l’aubergiste raisonnable les six francs en question, elle attendit le jour, là-haut, dans sa couchette glacée, mangeant son pain sec dans la nuit, l’extase dans le cœur, le Ciel dans les yeux, la simplicité dans l’âme. Dès le jour suivant, pénétrée de la force et de la clarté vivantes, elle commença son œuvre sainte à travers les refus, les portes fermées, les malignes paroles, les menaces et les sourires.