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Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/32

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Une surcoupe heureuse le décida. Brandissant donc un dix de trèfle maître, et s’oubliant un peu dans le feu du triomphe, il projeta la carte avec une telle violence que, dépassant le bord de la table, elle glissa, malgré les efforts de l’abbé Lebon pour la saisir, et tomba.

Le vénérable ecclésiastique, avec l’indulgence inhérente à son caractère, saisit un des flambeaux d’argent et, s’étant baissé, la lumière éclaira sur le parquet le fameux dix de trèfle, que d’Aiglelent, un peu confus, s’empressait de ramasser. Soudain comme l’obligeant vieillard se relevait en même temps que le chevalier, un reflet de la bougie frappa, de revers, la carte malencontreuse.

Sans doute, quelque chose d’anormal dut alors s’accuser en cette carte aux yeux du trop vif gentilhomme, car l’excuse qu’il balbutiait s’arrêta, inachevée : il demeura bouche bée, considérant l’objet avec une attention insolite : puis, sans mot dire, il releva l’un de ses tris et se mit à regarder les cartes en les approchant des lumières.

Étonnés de l’action du chevalier, le digne recteur et la douairière de Kerléanorse prirent, à l’exemple de leur vieil ami, à scruter aussi… Et, autour d’eux, sur les murailles, les physionomies familiales des portraits subitement éclairés, par ainsi, en pleines figures, semblaient encore se renfrogner à ce spectacle. Mais les trois visages vivants, au surgir de ce qu’ils entrevoyaient dans la transparence des cartes, semblaient médusés par une stupeur complexe. Sur le triple échange d’un coup d’œil