Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/47

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l’haleine brûla l’oreille du jeune homme, lui chuchota, très bas, sous les cheveux :

— Pier !… Puisque je t’adorais ! Pier, puisque nous étions enfermés dans l’indigence, et que bouter le feu à ces taudions était le seul moyen de nous voir ! et d’être l’un à l’autre ! et d’avoir notre enfant !

À ces affreuses paroles, Pier Albrun, l’ex-bon soldat, s’était dressé, les pensers en désarroi, le vertige dans les prunelles. — Hagard, il chancelait ! Soudain, sans mot répondre, le garde-chef lança par la croisée, dans les ombres basses, vers le torrent, la croix d’honneur — et d’un jet si violent que l’une des arêtes d’argent de ce joyau, éraflant une roche dans sa chute, en fit jaillir une étincelle avant de s’engouffrer dans l’écume. Puis il fit un geste vers l’arme suspendue au mur ; mais ses regards ayant rencontré les yeux endormis de son enfant, il s’arrêta, livide, fermant les paupières.

— Que cet enfant soit prêtre, pour qu’il puisse t’absoudre ! dit-il, après un grand silence.

Mais la Basquaise était si ardemment belle que, vers les cinq heures du matin, — de trop persuadeurs désirs aveuglant, peu à peu, la conscience du jeune homme, — sa terrible compagne finit par lui sembler douée d’un cœur héroïque. Bref, Pier Albrun, dans les délices d’Ardiane Inféral, faiblit — et pardonna.

Et, s’il faut parler franc, — après tout, pourquoi n’eût-il point pardonné ?