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son large bistouri chirurgical, fendit, incontinent, de bas en haut.

Un quart d’heure après, lorsque le constable entra dans le cabinet pour prier le docteur Hallidonhill de vouloir bien le suivre, celui-ci, calme, assis devant sa table, une forte loupe en main, scrutait une paire d’énormes poumons, géminés, à plat, sur son sanguinolent pupitre. Le génie de la Science essayait, en cet homme, de se rendre compte de l’archi-miraculeuse action cressonnière, à la fois lubréfiante et récréatrice.

— Monsieur le constable, a-t-il dit en se levant, j’ai jugé opportun d’immoler cet homme, son autopsie immédiate pouvant me révéler un secret salutaire pour le dégénérescent arbre aérien de l’espèce humaine : c’est pourquoi je n’ai pas hésité, je l’avoue, à sacrifier ici, ma conscience… à mon devoir.

Inutile d’ajouter que l’illustre docteur a été relaxé sous caution purement formelle, sa liberté nous étant plus utile que sa détention. Cette étrange affaire va maintenant venir aux assises britanniques. Ah ! quelles merveilleuses plaidoiries l’Europe va lire !

Tout porte à espérer que ce sublime attentat ne vaudra pas à son héros la potence de New-gate, les Anglais étant gens à comprendre, tout comme nous, que l’amour exclusif de l’humanité future au parfait mépris de l’individu présent, est, de nos jours, l’unique mobile qui doive innocenter, quand même, les magnanimes outranciers de la Science.