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Puis, en quelques paroles, il ébaucha une histoire : « Mû par la curiosité, il avait voulu voir : la planche avait glissé, le carcan l’avait saisi — et… il s’était trouvé mal. »

— Mais, monsieur, lui répondit le garçon du musée, — (le même qui l’avait épousseté la veille), — vous vous êtes alarmé sans motif.

— Sans motif !!… articula péniblement Redoux, la gorge encore serrée.

— Oui : le carcan n’a pas de ressorts et ce sont les coins, en se touchant, qui ont produit le bruit ; en vous y prenant bien, vous pouviez le soulever — et, quant au couteau…

Ici le garçon, montant sur l’estrade, enleva, du bout d’une perche, la housse vide :

— Il y a deux jours qu’on l’a porté à revisser.

À ces paroles, M. Redoux, se redressant sur ses jambes, et s’affermissant, regarda, bouche béante.

Puis, s’apercevant dans une glace, lui, vieilli de dix années, — il donna, en silence, avec des larmes cette fois sincères, trois guinées à ses libérateurs.

Cela fait, il prit son chapeau et quitta le musée.

Une fois dans la rue, il se dirigea vers l’hôtel, y prit sa valise. — Le soir même, à Paris, il courut se faire teindre, rentra chez lui — et ne souffla jamais un mot de son aventure.


Aujourd’hui, dans la haute position qu’il occupe à l’une des Chambres, il ne se permet plus un seul