Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/91

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salle, éclairât la chambre ! et qu’une terrible, une confuse rafale de cris si déchirants, si aigus, si affreux, — qu’on ne pouvait distinguer ni pressentir l’âge ou le sexe des voix qui les hurlaient, — passât dans l’entrebâillement de cette porte, comme une lointaine bouffée d’enfer.

Puis, le morne silence, les souffles froids, et, dans les corridors, les angles du soleil sur les dalles solitaires qu’à peine heurtait, par intervalles, le claquement d’une sandale d’inquisiteur.

Torquemada prononça quelques mots à voix basse.

L’un des familiers sortit, et, peu d’instants après entrèrent, devant lui, deux beaux adolescents, presque enfants encore, un jeune homme et une, jeune fille, — dix-huit ans, seize ans, sans doute. La distinction de leurs visages, de leurs personnes, attestait une haute race, et leurs habits — de la plus noble élégance, éteinte et somptueuse — indiquaient le rang élevé qu’occupaient leurs maisons. L’on eût dit le couple de Vérone transporté à Tolède : Roméo et Juliette !… Avec leur sourire d’innocence étonnée, — et un peu roses de se trouver ensemble, déjà, — tous deux regardaient le saint vieillard.

— « Doux et chers enfants », dit, en leur imposant les mains, Tomas de Torquemada, — « vous vous aimiez depuis près d’une année (ce qui est longtemps à votre âge), et d’un amour si chaste, si profond, que tremblants, l’un devant l’autre, et les yeux baissés à l’église, vous n’osiez vous le dire.