Page:Villiers de L’Isle-Adam - Isis, 1862.djvu/86

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vibrations de cette voix où les pensées infernales et célestes se peignaient avec la violence et le relief des réalités. Cependant le visage de la jeune fille semblait impassible, et ses yeux n’étincelaient pas. Et puis, lorsqu’ils étaient encore sous le charme, elle leur adressait, avec une soumission naturelle et humble, un bonsoir et un baiser.

L’aumône est une des distractions de la fortune. L’aumône va bien aux enfants riches. Cela flatte l’amour-propre des parents et donne du pittoresque aux promenades. Pour elle, lorsque ce mystérieux phénomène de l’aumône lui arrivait, elle envisageait le pauvre longuement. Les instincts de la dépravation sont écrits souvent sur les fronts endoloris par la misère ; cependant l’enfant baissait sa belle figure et donnait avec humilité. On eût dit qu’elle s’écoutait dans la forme humaine injuriée recevoir elle-même l’aumône qu’elle faisait et qu’elle se demandait, vaguement, au fond de sa conscience : « De quel droit m’est-il donné de faire courber la tête de cet homme ou de cette femme ?… Pourquoi m’est-il permis de disposer de ce qui leur est nécessaire ?… »