Page:Villiers de L’Isle-Adam - Le Nouveau-Monde, 1880.djvu/23

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LE NOUVEAU-MONDE Mary Vraiment ? Eh ! bien, assieds-toi, là ! — (L’entraînant douce- ment vers le grand fauteuil.)— Veillons un peu plus tard, veux-tu ? après que le couvre-feu aura sonné. — Nous sommes deux enfants... car vous êtes une enfant, milady !... deux en- fants, dis-je, bien reléguées et abandonnées ici, au fond de ce manoir, tout au nord de la « belle Angleterre ». Ah ! c’est un isolement... morose ! Lady CECIL, à elle-même, pensive Je l’échangerai, bientôt, pour une solitude plus austère encore : — hélas ! l’abandonner, cette enfant que j’aime, le pourrai-je !... Si je tentais de vous l’amener aussi, mon Dieu ? Mary Pour toute distraction, l’océan !... Or, tu conviendras que l’océan est un bien mélancolique donneur de séré- nades ? Lady Cecil Non : je ne trouve pas ; — c’est si beau ! Mary Toujours si beau !... Cela veut dire monotone. — L’hiver, quelles neiges ! Cet immense comté de Cumberland blanc comme un suaire autour de nous ! Et l’été ! Pour nos promenades à cheval, un grand parc ombragé par une centaine d’yeuses presque toutes brûlées de la fou- dre et qui datent de Guillaume le Conquérant. Elles semblent vieilles comme la nuit. C’est au point que les oiseaux n’osent plus y chanter. Quels plaisirs avons-nous ? Les soirs de lune, tenter une excursion en mer, sur notre yacht ? Nous ne sommes point seules, c’est ennuyeux. Les livres de la bibliothèque ? — Ah ! nous deviendrons trop sa- vantes, aussi ! Il n’y a guère que la musique, pour nous distraire : mais les chants qui nous viennent sont presque toujours les mêmes : des airs de notre pays d’Irlande, tris-