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dans le livre des pensées.

sa propre audace ; cette vigueur de conception toujours maîtresse de son objet, toujours le retenant d’une étreinte puissante, et se laissant conduire par lui, sans le lâcher jamais, jusque dans ces profondeurs de l’abstraction où, semblable à Protée, il cherche à s’évancuir en vapeur ; cette extrême clarté qui, dans des sujets d’une telle nature, ne peut appartenir qu’au génie ; cette fécondité d’invention philosophique, qui vous fait arriver par le chemin d’un raisonnement patient et, à ce qu’il semble, ordinaire, à des conclusions qui sont des découvertes, et qui vous arrachent un cri de surprise et d’admiration ; enfin, ce style, Messieurs, ce style peut-être sans pareil, car jamais style ne fut aussi complètement vrai, jamais style n’a serré de si près la pensée : il ne s’interpose pas entre vous et la pensée, car il est la pensée même ; nu, ramassé, nerveux comme un athlète, il est tout force, il est beau de sa nudité, et les images mêmes dont il se sert, lui sont comme le ceste à la main du pugile, une arme, non un vêtement. En lui, comme en Montaigne, l’auteur, l’écrivain, ne paraît jamais ; mais, à la différence de Montaigne, s’il cache l’écrivain, ce n’est pas pour mieux étaler l’individu ou le moi. Il n’y a point de moi chez Pascal ; le héros, dirai-je, ou le patient de son livre, c’est l’homme ; et quand Pascal parle à la première personne, c’est qu’il se substitue, par procuration, au genre humain tout entier. Cette hardie personnification donne à son livre un caractère drama-