Page:Viollet-Leduc - Bibliographie des chansons, fabliaux, 1859.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui les cultive doit être susceptible de cette versatilité nerveuse qui mêle, dans un instant, le comique au tragique, disposition spéciale d’où naît cette vivacité de s’exprimer qu’on appelle plus particulièrement l’esprit.

Certaines races n’ont jamais témoigné de propension à s’écarter du solennel ; les Hindoux, par exemple, qui nous ont laissé d’interminables poëmes et un théâtre si riche d’aspirations panthéistiques et d’appels passionnés à la nature vivante, n’ont rien dans leurs livres qui témoignent qu’ils aient jamais su rire. La collection des écrits du peuple juif ne contient de même pas un seul élan de gaieté. Les Égyptiens, qui sculptaient leur histoire et leurs mœurs sur tous leurs monuments, ne se sont jamais permis d’y tailler ces satires hardiment frondeuses dont nos artistes du moyen âge couvraient les flancs de nos cathédrales.

Chose plus étrange encore, les races germaniques, dont le sang est entré dans tous les mélanges néo-latins et qui ont côtoyé nos races gauloises pendant dix à douze siècles, ne se sont elles-mêmes jamais écartées, dans leurs œuvres écrites, de cette décence sévère, de ce décorum scrupuleux qui fait le cachet de leur littérature, même dans les plus grandes excentricités de leur imagination. Leurs œuvres portent toujours cet air de vague rêverie, de profondeur voilée qui rappelle les brumes de leur ciel et les ombres solennelles de leurs vastes forêts. La facilité de donner à sa pensée une tournure joyeuse jusqu’au fou-rire une forme licencieuse jusqu’à l’impudence, une allure provoquante jusqu’à l’excès, est une faculté presque complètement spéciale aux nations néo-latines.

Chez les Français et les Italiens surtout, la chanson mordante, le fabliau narquois, les facéties sans frein ont trouvé leur terre de prédilection. Heureux peuples qui endorment leurs maux au bruit de grelots railleurs, qui s’amusent de tout ce dont croit devoir rougir le front de leurs graves voisins, et qui rient, en les exagérant, de toutes les misères, de toutes les pauvretés, de tous les ridicules de l’humaine nature ! Leur histoire, dans ses épisodes les plus navrants, les plus tragiques, se voit à chaque instant traversée d’éclairs joyeux sous forme de couplets, de madrigaux, de bons mots et de pamphlets.