Page:Viollet-le-Duc, Histoire d une maison, 1873.djvu/38

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« L’habitude des yeux est quelque chose qu’il ne faut point heurter, les gens du pays réunissent dans leur pensée l’habitant et sa maison ; changez celle-ci, ils ne reconnaîtront plus celui-là.

« Ton cousin sait encore mieux que toi et moi quels sont les défauts de notre vieux manoir, et comment on pourrait le rendre beaucoup plus attrayant, et cependant jamais il ne m’a fait songer qu’on y pût apporter des modifications, parce qu’il comprend comme moi qu’en changeant quelque chose à ces bâtisses, on causerait autour de nous un trouble dans des habitudes prises, qui ne pourrait qu’être fâcheux.

« Te voilà en deux ou trois heures devenu architecte, et avant de savoir si tu pourras faire mieux que ce qui existe, tu penses à démolir. Plus de modestie ; quand tu auras longtemps étudié et beaucoup vu, tu sauras que l’habitation doit être, pour l’homme ou pour sa famille, un vêtement fait à sa mesure, et que, quand un logis est en parfaite concordance avec les mœurs et les habitudes de ceux qu’il abrite sous son toit, il est excellent. Combien ai-je vu de ces propriétaires qui, en détruisant la maison laissée par leurs pères, pour la remplacer par une habitation conforme, pensaient-ils, aux exigences du moment, brisaient du même coup le lien qui rattachait leur famille aux humbles habitants du voisinage ! »

À ces arguments, M. Paul, pour toute réplique, alla embrasser sa mère et son père ; et c’était ce qu’il avait de mieux à faire.

« Je ne comprends pas bien, » dit Paul à son cousin, lorsqu’ils furent tous deux dans le parc après déjeuner, « pourquoi mon père désire alors faire bâtir une maison pour ma sœur, puisqu’il trouve si nécessaire de conserver pour lui et pour nous le vieux manoir où nous sommes nés.

— Ceci est délicat ; mais vous êtes, petit cousin, en âge de le comprendre. D’abord votre sœur Marie porte au-