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C’est principalement dans les villes du nord qui s’érigent en communes au XIIe siècle que l’on voit l’architecture se dégager plus rapidement des traditions romanes. Le mouvement intellectuel dans ces nouveaux municipes du nord ne conservait rien du caractère aristocratique de la municipalité romaine ; aussi ne doit-on pas être surpris de la marche progressive des arts et de l’industrie, dans un espace de temps assez court, au milieu de ces cités affranchies avec plus ou moins de succès, et de l’importance que devaient prendre parmi leurs concitoyens les hommes qui étaient appelés à diriger d’immenses travaux, soit par le clergé, soit par les seigneurs laïques, soit par les villes elles-mêmes.

Il est fort difficile de savoir aujourd’hui quelles étaient exactement les fonctions du maître de l’œuvre au XIIIe siècle. Était-il seulement chargé de donner les dessins des bâtiments et de diriger les ouvriers, ou administrait-il, comme de nos jours, l’emploi des fonds ? Les documents que nous possédons et qui peuvent jeter quelque lumière sur ce point, ne sont pas antérieurs au XIVe siècle, et à cette époque, l’architecte n’est appelé que comme un homme de l’art que l’on indemnise de son travail personnel. Celui pour qui l’on bâtit, achète à l’avance et approvisionne ses matériaux nécessaires, embauche des ouvriers, et tout le travail se fait suivant le mode connu aujourd’hui sous le nom de régie. L’évaluation des ouvrages, l’administration des fonds ne paraissent pas concerner l’architecte. Le mode d’adjudication n’apparaît nettement que plus tard, à la fin du XIVe siècle, mais alors l’architecte perd de son importance ; il semble que chaque corps d’état traite directement en dehors de son action pour l’exécution de chaque nature de travail ; et ces adjudications faites au profit du maître de métier, qui offre le plus fort rabais à l’extinction des feux, sont de véritables forfaits.

Voici un curieux document[1] qui indique d’une manière précise quelle était la fonction de l’architecte au commencement du XIVe siècle. Il s’agit de la construction de la cathédrale de Gérone ; mais les usages de la Catalogne, à cette époque, ne devaient pas différer des nôtres, d’ailleurs il est question d’un architecte français.

« Le chapitre de la cathédrale de Gérone se décide, en 1312, à remplacer la vieille église romane par une nouvelle, plus grande et plus digne. Les travaux ne commencent pas immédiatement, et on nomme les administrateurs de l’œuvre (obreros), Raymond de Viloric et Arnauld de Montredon. En 1316 les travaux sont en activité, et on voit apparaître, en février 1320, sur les registres capitulaires, un architecte désigné sous le nom de maître Henry de Narbonne. Maître Henri meurt et sa place est occupée par un autre architecte son compatriote, nommé Jacques de Favariis ; celui-ci s’engage à venir de Narbonne six fois l’an, et le chapitre lui assure un traitement de deux cent cinquante sous par trimestre

  1. Extrait du registre intitulé : Curia del vicariato de Gerona, liber notularum ab anno 1320 ad 1322. folio 48.