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profonds ; mais mal placées pour se défendre, les villæ sont bientôt abandonnées aux colons, et les chefs francs s’établissent dans des forteresses. Au milieu de cette effroyable anarchie que les derniers rois mérovingiens étaient hors d’état de réprimer, les évêques et les établissements religieux luttaient seuls ; les uns par leur patience, la puissance d’un principe soutenu avec fermeté, leurs exhortations ; les autres par l’étude, les travaux agricoles, et en réunissant derrière leurs murailles les derniers débris de la civilisation romaine.

Charlemagne surgit au milieu de ce chaos ; il parvient par la seule puissance de son génie organisateur à établir une sorte d’unité administrative ; il reprend le fil brisé de la civilisation antique et tente de le renouer. Charlemagne voulait faire une renaissance. Les arts modernes allaient profiter de ce suprême effort, non en suivant la route tracée par ce grand génie, mais en s’appropriant les éléments nouveaux qu’il avait été chercher en Orient. Charlemagne avait compris que les lois et la force matérielle sont impuissantes à réformer et à organiser des populations ignorantes et barbares, si l’on ne commence par les éclairer. Il avait compris que les arts et les lettres sont un des moyens les plus efficaces à opposer à la barbarie. Mais en Occident les instruments lui manquaient, depuis longtemps les dernières lueurs des arts antiques avaient disparu. L’empire d’Orient, qui n’avait pas été bouleversé par l’invasion de peuplades sauvages, conservait ses arts et son industrie. Au VIIIe siècle c’était là qu’il fallait aller chercher la pratique des arts. D’ailleurs Charlemagne, qui avait eu de fréquents différends avec les empereurs d’Orient, s’était maintenu en bonne intelligence avec le kalife Haroun qui lui fit, en 801, cession des lieux saints. Dès 777 Charlemagne avait fait un traité d’alliance avec les gouvernements mauresques de Saragosse et d’Huesca. Par ces alliances il se ménageait les moyens d’aller recueillir les sciences et les arts là où ils s’étaient développés. Dès cette époque, les Maures d’Espagne, comme les Arabes de Syrie, étaient fort avancés dans les sciences mathématiques et dans la pratique de tous les arts, et bien que Charlemagne passe pour avoir ramené de Rome, en 787, des grammairiens, des musiciens et des mathématiciens en France, il est vraisemblable qu’il manda des professeurs de géométrie à ses alliés de Syrie ou d’Espagne ; car nous pouvons juger, par le peu de monuments de Rome qui datent de cette époque, à quel degré d’ignorance profonde les constructeurs étaient tombés dans la capitale du monde chrétien.

Mais pour Charlemagne tout devait partir de Rome par tradition, il était avant tout empereur d’Occident, et il ne devait pas laisser croire que la lumière pût venir d’ailleurs. Ainsi, à la renaissance romaine qu’il voulait faire, il mêlait, par la force des choses, des éléments étrangers qui allaient bientôt faire dévier les arts du chemin sur lequel il prétendait les replacer. L’empereur pouvait s’emparer des traditions du gouvernement romain, rendre des ordonnances toutes romaines, composer une administration copiée sur l’administration romaine, mais si puissant que l’on soit, on ne décrète pas un art. Pour enseigner le dessin à ses peintres, les mathéma-