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couvrent les nus des murs de meneaux aveugles qui ne sont que des placages simulant des vides là où souvent l’œil, ne sachant où se reposer, demanderait un plein. Pendant le XIVe siècle déjà cet usage de masquer les nus sous de faux meneaux avait été fort goûté ; mais au moins, à cette époque, ce genre de décoration était appliqué d’une façon judicieuse (voy. Architecture Religieuse), entre des points d’appui, dans des espaces qui par leur position peuvent paraître légers, tandis qu’au XVe siècle, ces décorations de fausses baies couvrent les contre-forts et toutes les parties de l’architecture qui doivent présenter un aspect de résistance. Il semblait qu’alors les architectes eussent horreur du plein, et ne pussent se résoudre à laisser paraître leurs points d’appui. Tous leurs efforts tendaient à les dissimuler, pendant que souvent des murs, qui ne sont que des remplissages et ne portant rien auraient pu être mis à jour ou décorés d’arcatures ou de fausses baies, restent nus. Rien n’est plus choquant que ces murs lisses, froids, entre des contre-forts couverts de détails infinis, petits d’échelle et qui amaigrissent les parties des édifices auxquelles on attache une idée de force.

Plus on s’éloigne du domaine royal et plus ces défauts sont apparents dans l’architecture du XVe siècle, plus les constructeurs s’écartent des principes posés pendant les XIIIe et XIVe siècles, se livrent aux combinaisons extravagantes, prétendent faire des tours de force de pierre, et donnent à leur architecture des formes étrangères à la nature des matériaux, obtenues par des moyens factices, prodiguant le fer et les scellements, accrochant, incrustant une ornementation qui n’est plus à l’échelle des édifices. C’est sur les monuments de cette époque qu’on a voulu longtemps juger l’architecture dite gothique. C’est à peu près comme si on voulait porter un jugement sur l’architecture romaine à Balbek ou à Pola, sans tenir compte des chefs-d’œuvre du siècle d’Auguste.

Nous devons ici faire une remarque d’une importance majeure ; bien que la domination anglaise ait pu paraître, politiquement parlant, très-assurée dans le nord et dans l’ouest de la France pendant une partie des XIVe et XVe siècles, nous ne connaissons pas un seul édifice qui rappelle dans les contrées conquises les constructions que l’on élevait alors en Angleterre. L’architecture ne cesse de rester française. On ne se fait pas faute en Normandie ou dans les provinces de l’ouest d’attribuer certains édifices aux Anglais ; que ceux-ci aient fait construire des monuments, nous voulons bien l’admettre, mais ils n’ont eu recours alors qu’à des artistes français, et le fait est facile à constater pour qui a vu les architectures des deux pays ; les dissemblances sont frappantes comme principe, comme décoration, et comme moyens d’exécution. Pendant le XIIIe siècle les deux arts anglais et français ne diffèrent guère que dans les détails ou dans certaines dispositions générales des plans, mais à partir du XIVe siècle ces deux architectures prennent des voies différentes qui s’éloignent de plus en plus l’une de l’autre. Jusqu’à la Renaissance aucun élément n’est venu en France retarder ou modifier la marche de l’architecture ; elle s’est nourrie