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ment, mais à des artistes isolés, à des architectes, quelquefois sculpteurs et peintres en même temps, soumettant les ouvriers à l’unité de direction. On voit surgir sous le règne de François Ier des hommes, en France, qui, à l’imitation des maîtres italiens, et par la volonté de la cour et des grands seigneurs, viennent à leur tour imposer leurs projets aux corps d’artisans, et les faire exécuter sans admettre leur intervention autrement que comme ouvriers. Et parmi ces artistes, qui ont appris de l’Italie à relever leur profession, qui s’inspirent de son génie et des arts antiques si bien renouvelés par elle, beaucoup embrassent le parti de la réforme qui met Rome au ban de l’Europe ! qui désigne Léon X, cet homme d’un goût si élevé, ce protecteur si éclairé des artistes, comme l’Antéchrist !

Mais il faut dire qu’en France la réforme ne se montre pas à son début, comme en Allemagne, ennemie des arts plastiques ; elle ne brise pas les images, ne brûle pas les tableaux et les manuscrits enrichis de peintures ; au contraire, presque exclusivement adoptée par la classe noble et par la portion la plus élevée du tiers état, on ne la voit faire des prosélytes au milieu des classes inférieures que dans quelques provinces de l’ouest, et dans ces contrées où déjà au XIIe siècle les Albigeois avaient élevé une hérésie en face de l’Église catholique. L’aristocratie plus instruite qu’elle ne l’avait jamais été, lettrée, adonnée avec passion à l’étude de l’antiquité, suivait le mouvement imprimé par le roi François Ier, déployait un luxe inconnu jusqu’alors dans la construction de ses châteaux et de ses maisons de ville. Elle démantelait les vieux manoirs féodaux pour élever des habitations ouvertes, plaisantes, décorées de portiques, de sculptures, de statues de marbre. La royauté donnait l’exemple en détruisant ce vieux Louvre de Philippe Auguste et de Charles V. La grosse tour du Louvre, de laquelle relevaient tous les fiefs de France, elle-même n’était pas épargnée, on la rasait pour commencer les élégantes constructions de Pierre Lescot. François Ier vendait son hôtel Saint-Paul « fort vague et ruyneux… auquel n’avons accoustumé faire résidence, parce que avons en nostre bonne ville plusieurs autres bons logis et places somptueuses, et que ledit hostel nous est et à nostredit domaine de peu de valeur[1]… » L’architecture civile envahissait l’architecture féodale où jusqu’alors tout était presque entièrement sacrifié aux dispositions de défense ; et le roi François accomplissait ainsi au moyen des arts, en entraînant sa noblesse dans cette nouvelle voie, la grande révolution politique commencée par Louis XI. Les seigneurs féodaux subissant l’empire de la mode, démolissant eux-mêmes leurs forteresses, prodiguant leurs trésors pour changer leurs châteaux sombres et fermés en maisons de plaisance, adoptant les nouveautés prêchées par les réformistes, ne voyaient pas que le peuple applaudissait à leur amour pour les arts qui détruisait leurs nids féodaux, ne les suivait pas dans leurs idées de réforme religieuse, que la royauté

  1. Aliénation de l’hostel Saint-Paul, an. 1516. Hist de la Ville de Paris. D. Félibien ; t. III ; p. justif., p. 574.