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sculpteur, le musicien, et le poëte peuvent s’isoler, ils n’ont besoin pour exprimer ce que leur esprit conçoit que d’un peu de couleur, d’un morceau de pierre ou de marbre, d’un instrument, ou d’une écritoire ; mais l’architecture est soumise à des circonstances complétement étrangères à l’artiste, et plus fortes que lui ; or, un des caractères frappants de l’architecture religieuse, inaugurée par les artistes laïques à la fin du XIIe siècle, c’est de pouvoir se prêter à toutes les exigences, de permettre l’emploi de l’ornementation la plus riche et la plus chargée qui ait jamais été appliquée aux édifices, ou des formes les plus simples et des procédés les plus économiques. Si à cette époque quelques grandes églises affectent une richesse apparente, qui contraste avec l’extrême pauvreté des moyens de construction employés, cela tient à des exigences dont nous venons d’indiquer les motifs ; motifs d’une importance telle que force était de s’y soumettre. « Avant tout, la cathédrale doit être spacieuse, splendide, éclatante de verrières, décorée de sculptures ; les ressources sont modiques, n’importe ! il faut satisfaire à ce besoin religieux dont l’importance est supérieure à toute autre considération ; contentons-nous de fondations imparfaites, de matériaux médiocres, mais élevons une église à nulle autre égale dans le diocèse ; elle périra promptement, n’importe ! il faut qu’elle soit élevée ; si elle tombe, nos successeurs en bâtiront une autre… » Voilà comment devait raisonner un évêque à la fin du XIIe siècle ; et s’il était dans le faux au point de vue de l’art, il était dans le vrai au point de vue de l’unité religieuse.

Ce n’était donc ni par ignorance ni par négligence que les architectes du XIIIe siècle construisaient mal, quand ils construisaient mal, puisqu’ils ont élevé des édifices irréprochables comme construction, mais bien parce qu’ils étaient dominés par un besoin moral n’admettant aucune objection, et la preuve en est dans cette quantité innombrable d’églises de second ordre, de collégiales, de paroisses où la pénurie des ressources a produit des édifices d’une grande sobriété d’ornementation, mais où l’art du constructeur apparaît d’autant plus que les procédés sont plus simples, les matériaux plus grossiers ou de qualité médiocre. Par cela même que beaucoup de ces édifices construits avec parcimonie sont parvenus jusqu’à nous, après avoir traversé plus de six siècles, on leur reproche leur pauvreté, on accuse leurs constructeurs ! mais s’ils étaient tombés, si les cathédrales de Chartres, de Reims ou d’Amiens étaient seules debout aujourd’hui, ces constructeurs seraient donc irréprochables ? (voy. Construction, Église.) Dans notre siècle, l’unité politique et administrative fait converger toutes les ressources du pays vers un but, suivant les besoins du temps, et cependant nous sommes témoins tous les jours de l’insuffisance de ces ressources lorsqu’il s’agit de satisfaire à de grands intérêts, tels que les chemins de fer par exemple. Mais au XIIe siècle, le pays morcelé par le système féodal, composé de provinces, les unes pauvres, les autres riches, les unes pleines d’activité et de lumières, les autres adonnées à l’agriculture, et ne progressant pas, ne pouvait agir avec ensemble ; il fallait donc que l’effort de l’épiscopat fût immense pour réunir des ressources qui lui permissent