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Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 1.djvu/247

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civiles étaient survenues les guerres avec l’Aragon ; toutes les villes du Languedoc faisant partie du domaine royal sous saint Louis, Philippe le Hardi, Philippe le Bel et Charles V, frontières du Roussillon et du comté de Foix, étaient continuellement en butte aux incursions de leurs puissants voisins. Chaque édifice avait été utilisé dans ces villes, pour la défense, et naturellement les églises, comme les plus élevés et les plus importants, devenaient des forts, participaient autant de l’architecture militaire que de l’architecture religieuse. La Guyenne, dont la possession était continuellement contestée pendant les XIIIe et XIVe siècles, entre les rois de France et d’Angleterre, conservait ses vieilles églises romanes, mais ne bâtissait que de rares et pauvres édifices religieux, pâles reflets de ceux du nord. Quant à la Bourgogne, riche, populeuse, unie, elle développait son architecture religieuse sous l’inspiration de celle du domaine royal, mais en y mêlant son génie fortement pénétré des traditions romaines, et dans lequel les églises clunisiennes et cisterciennes avaient laissé des traces inaltérables. Cette province est une des plus favorisées en matériaux de qualités excellentes. Les bassins supérieurs de la Seine, de l’Yonne et de la Saône fournissent abondamment des pierres calcaires et des grès durs et tendres, faciles à exploiter en grands morceaux, d’une beauté de grain, d’une résistance et d’une durée sans égales. Aussi, les édifices bourguignons sont-ils, en général, bâtis en grands matériaux, bien conservés, et d’un appareil savamment tracé. Cette abondance et ces qualités supérieures de la pierre, influent sur les formes de l’architecture bourguignonne, surtout à l’époque où l’emploi des matériaux joue un grand rôle dans la contexture des édifices religieux. Au XIIIe siècle, les constructeurs de cette province profitent de la facilité qui leur était donnée d’obtenir de grands blocs très-résistants, et pouvant sans danger être posés en délit, pour éviter de multiplier les assises dans les points d’appui principaux. Ils ne craignent pas d’élever des piles monolithes, ils sont des premiers à établir sur les corniches, à la chute des combles, de larges chéneaux formant à l’intérieur, des plafonds entre les formerets des voûtes et les murs (voy. Arc Formeret, fig. 45). Possédant des calcaires faciles à tailler, mais très-fermes cependant, ils donnent à leurs profils de fortes saillies, les accentuent énergiquement, à leur sculpture d’ornement de la grandeur, une physionomie plantureuse qui distingue leur décoration de pierre entre celle des provinces voisines. Les architectes bourguignons n’adoptent que tard les meneaux compliqués, les balustrades à jour, la maigreur qui déjà, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, s’attachait aux formes architectoniques de la Champagne et de l’Île-de-France.

À Paris, à Reims, à Troyes, l’architecture ogivale penchait déjà vers sa décadence, que dans l’Auxois, le Dijonnais et le Mâconnais se conservaient encore les dispositions simples, la fermeté des profils, la largeur de l’ornementation, l’originalité native de la province. Ce n’est qu’au XVe siècle que l’architecture bourguignonne devient sèche, monotone ; alors les caractères particuliers à chaque province s’effacent, il n’y a plus qu’une seule ar-