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ments religieux étaient à la tête de la civilisation, qu’ils avaient conservé les traditions antiques en les appropriant aux mœurs nouvelles ; 2o parce que les moines seuls pratiquaient les arts de l’architecture, de la sculpture et de la peinture, et qu’ils devaient par conséquent apporter, même dans les constructions étrangères aux couvents, leurs formules aussi bien que les données générales de leurs bâtiments. Les palais, comme les couvents, possédaient leur cloître ou leur cour entourée de portiques, leur grand’salle qui remplaçait le réfectoire des moines et en tenait lieu, leurs vastes cuisines, leurs dortoirs pour les familiers, un logis séparé pour le seigneur comme pour l’évêque ou l’abbé ; leur hôtellerie pour les étrangers, leur chapelle, celliers, greniers, jardins, etc. Seulement à l’extérieur, le palais séculier se revêtait de hautes murailles fortifiées, de tours, de défenses beaucoup plus importantes et étendues que celles des abbayes. Le palais des rois à Paris en la Cité, contenait tous ces divers services et dépendances dès avant Philippe Auguste. Quant aux maisons des riches citoyens, elles avaient acquis, même pendant la période romane, une grande importance, soit comme étendue, soit comme décoration, et elles suivaient le mouvement imprimé par l’architecture bénédictine, riches de sculpture dans les provinces où l’influence clunisienne se faisait sentir, simples dans les environs des établissements cisterciens. Mais à la fin du XIIe siècle, lorsque l’architecture est pratiquée par les laïques, les habitations particulières se débarrassent de leurs langes monastiques, et prennent une physionomie qui leur est propre. Ce qui les caractérise, c’est une grande sobriété d’ornementation extérieure, une complète observation des besoins. Le rationalisme qui, à cette époque, s’attachait même aux constructions religieuses, perçait à plus forte raison dans les constructions privées. Mais il ne faudrait pas croire que cette tendance ait conduit l’architecture civile dans une voie étroite, qu’elle lui ait fait adopter des données sèches et invariables, des poncifs comme ceux qui de nos jours sont appliqués à certaines constructions d’utilité publique, en dépit des matériaux, du climat, des habitudes ou des traditions de telle ou telle province. Au contraire, ce qui distingue le rationalisme des XIIe et XIIIe siècles du nôtre, c’est, avec une grande rigidité de principes, la liberté, l’originalité, l’aversion pour la banalité. Cette liberté est telle qu’elle déroute fort les architectes archéologues de notre temps qui veulent ne voir que la forme extérieure sans chercher le principe qui a dirigé nos anciens artistes du moyen âge. Il n’y a pas, à proprement parler, de règles absolues pour l’application de certaines formes, il n’y a d’autres règles que l’observation rigoureuse d’un principe avec la faculté pour chacun de se mouvoir dans les limites posées par ce principe. Or ce principe est celui-ci : rendre tout besoin et tout moyen de construction apparents. L’habitation est-elle de brique, de bois ou de pierre, sa forme, son aspect, sont le résultat de l’emploi de ces divers matériaux. A-t-on besoin d’ouvrir de grands jours ou de petites fenêtres, les façades présentent des baies larges ou étroites, longues ou trapues. Y a-t-il des voûtes à l’intérieur, des contre-forts les accusent à