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s’empara des architectes, sans avoir égard aux principes de la construction de cette architecture, on appareilla ensemble l’architrave et la frise, en faisant passer les coupes des claveaux à travers ces deux membres de l’entablement : c’était un grossier contre-sens qui s’est perpétué jusqu’à nos jours.

ARDOISE, s. f. (Schiste lamelleux.) Dans les contrées où le schiste est facile à exploiter on s’en est servi de tous temps, soit pour daller les intérieurs des habitations, soit pour les couvrir, ou pour clore des champs. La ténacité de cette matière, sa résistance, la facilité avec laquelle elle se délite en lames minces, ont dû nécessairement engager les constructeurs à l’employer. On a utilisé cette matière aussi comme moellon. L’Anjou, quelques parties des Pyrénées, les Ardennes ont conservé de très-anciennes constructions bâties en schiste qui ont parfaitement résisté à l’action du temps. Mais c’est principalement pour couvrir les charpentes que les ardoises ont été employées. Il paraîtrait que dès le XIe siècle, dans les contrées schisteuses, on employait l’ardoise concurremment avec la tuile creuse ou plate. Dans des constructions de cette époque nous avons retrouvé de nombreux fragments de grandes ardoises[1] très-épaisses et mal coupées, mais n’en constituant pas moins une excellente couverture. Toutefois, tant qu’on ne trouva pas les moyens d’exploiter l’ardoise en grand, de la déliter et de la couper régulièrement, on dut préférer la tuile qui, faite avec soin, couverte d’émaux de différentes couleurs, était d’un aspect beaucoup plus riche et monumental. Les ardoises n’étaient guère employées que pour les constructions vulgaires, et comme on les emploie encore aujourd’hui dans les monts d’Or, dans la montagne Noire, et dans les Ardennes. Ce ne fut guère que vers la fin du XIIe siècle que l’ardoise devint d’un emploi général dans le nord et l’ouest de la France. Des palais, des maisons de riches bourgeois, des églises même étaient déjà couvertes en ardoises. L’adoption des combles coniques pour les tours des châteaux rendait l’emploi de l’ardoise obligatoire, car on ne pouvait convenablement couvrir un comble conique avec de la tuile, à moins de la faire fabriquer exprès et de diverses largeurs, tandis que l’ardoise, pouvant se tailler facilement, permettait de chevaucher toujours les joints de chaque rang d’une couverture conique. Lorsque les couvertures coniques étaient d’un très-petit diamètre, sur les tourelles des escaliers, par exemple, afin d’éviter les cornes saillantes que des ardoises plates n’eussent pas manqué de laisser voir sur une surface curviligne convexe, on taillait leur extrémité inférieure en forme d’écaille, et on avait le soin de les tenir très-étroites pour qu’elles pussent mieux s’appliquer sur la surface courbe (1) ; et comme chaque rang, en diminuant de diamètre, devait diminuer le nombre des ardoises qui le composaient, on arrêtait souvent de distance en distance le système des rangs d’écailles par un rang droit, et on repre-

  1. Les voûtes de l’ancienne cathédrale de Carcassonne (Saint-Nazaire) étaient dans l’origine, couvertes de grandes ardoises provenant de la montagne Noire.