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Notre-Dame. On employait alors, comme aujourd’hui, pour extraire les bancs calcaires, des treuils munis de grandes roues posés à l’orifice des puits. On trouve, dans le recueil des Olim[1], quelques arrêts touchant l’extraction des pierres à bâtir ; ils sont relatifs aux indemnités à payer par les carriers ou constructeurs pour réparations des chemins défoncés. Nous citons ici un fragment d’un de ces arrêts royaux qui date de 1273.

« Cependant l’abbé et les moines du couvent de Saint-Port se plaignaient de ce que ceux qui réparaient le pont de Melun étaient venus dans leurs terres, et y avaient creusé pour faire une carrière de laquelle ils tiraient, malgré eux moines, des pierres nécessaires à la construction dudit pont ; que par cela même un tort considérable leur avait été fait, en détruisant presque entièrement un chemin sur lequel on arrivait à leur abbaye ; c’est pourquoi les moines demandaient qu’on poursuivit ces carriers pour faire cesser l’abus, et leur faire réparer les dommages qu’ils avaient causés au couvent. Le bailli de la Seine fut donc invité à faire réparer le chemin de telle sorte que les moines pussent se rendre facilement et en toute sûreté à l’abbaye, comme auparavant, et à les indemniser des dommages qu’ils avaient soufferts par suite de l’exploitation de ladite carrière ; savoir, en leur payant des deniers royaux une somme égale à celle de la pierre extraite, ou en leur faisant restituer cette somme par les entrepreneurs dudit pont… »

À une époque où il n’existait pas une législation uniforme, propre à régler l’exploitation des carrières, ces contestations étaient fréquentes ; les abbayes, les seigneurs féodaux, possesseurs du sol, faisaient payer des droits pour permettre l’exploitation sur leurs terres, ou exigeaient un charriage gratuit d’une portion des matériaux exploités pour leur usage particulier. Souvent même les couvents faisaient exploiter eux-mêmes et vendaient les matériaux. Les coteaux de carrière de Saint-Denis appartenaient à l’abbé et aux moines de Saint-Denis ; ceux-ci possédaient aussi des carrières près Pontoise. Les abbayes de Royaumont, du Val-sur-l’Oise, tiraient profit des vastes et belles carrières dont leur sol est rempli. Les établissements religieux se faisaient souvent un revenu considérable par l’extraction de la pierre, car ils avaient, autant que faire se pouvait, le soin de bâtir leurs monastères dans le voisinage de dépôts calcaires ; et, sur le sol de la France, on peut être assuré de trouver, proche des abbayes, de bonnes terres, des cours d’eau et de la pierre propre à bâtir. Agriculteurs, industriels et constructeurs, les moines furent les premiers à ouvrir le sol et à lui faire rendre tout ce qui est nécessaire aux besoins d’un peuple civilisé. Les constructions qu’ils nous ont laissées font voir que les moyens d’exploitation qu’ils employaient étaient bien organisés et d’une grande puissance, car il n’est pas rare de trouver dans les églises abbatiales des blocs énormes. Ainsi, par exemple, on voit, dans le chœur de l’abbaye de Vézelay, des colonnes monolythes qui ne cubent pas moins de quatre

  1. Les Olim, docum, inéd. sur l’hist. de France, t. I.