Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 2.djvu/387

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diviser à l’infini. Il n’en est pas ainsi de l’architecture qui, naît au XIIe siècle ; fille du rationalisme moderne, chez elle le calcul précède l’application de la forme ; bien plus, il la commande, il la soumet ; si, par ce besoin naturel à l’homme, il veut qu’elle soit belle, il faut que ce soit suivant la loi d’unité.

En entrant dans le domaine d’un autre art, nous pourrons peut-être nous faire mieux comprendre… L’architecture antique, c’est la mélodie ; l’architecture du moyen âge, c’est l’harmonie. L’harmonie, dans le sens que nous attachons à ce mot, c’est-à-dire l’arrangement et la disposition des sons simultanés, était inconnue chez les anciens Grecs ; l’antiphonie, au temps d’Aristote, était seule pratiquée, c’est-à-dire les octaves produits par des voix d’hommes et de femmes ou d’enfants chantant la même mélodie. Ce ne fut que pendant les premiers siècles de notre ère que l’usage des quartes et des quintes fut admis dans la musique grecque, et encore l’échelle tonale de ses modes se prêtait si peu aux sons simultanés, que la pratique de l’harmonie était hérissée de difficultés et son emploi fort restreint. M. Vincent[1], malgré des efforts persévérants pour découvrir les traces de l’harmonie chez les Grecs, n’a encore pu arriver à aucun résultat concluant.

Dans l’Église latine, au contraire, l’harmonie n’a cessé de prendre des développements rapides, et c’est principalement au moyen âge qu’il faut rapporter l’invention et l’établissement des règles qui ont élevé cet art à la plus merveilleuse puissance.

Dès l’époque de Charlemagne, on trouve des traces de l’art de combiner les sons simultanés, et cet art s’appelle organum, ars organandi. Il était réservé à Hucbald, moine de Saint-Amand au Xe siècle, de donner une grande impulsion à l’harmonie, en établissant des règles fixes et fécondes. Aux diaphonies à mouvements semblables succéda, au XIe siècle, la diaphonie à mouvements contraires et à intervalles variés, comme le prouvent les ouvrages de Jean Cotton et d’autres auteurs. Enfin, pendant les XIIe et XIIIe siècles, l’harmonie s’enrichit successivement de tous les accords qui forment la base de la composition musicale moderne ; et les traités de Jean de Garlande, de Pierre Picard, de Jérôme de Moravie, etc., prouvent surabondamment l’emploi, dans la symphonie, des tierces, des quartes, des quintes, des sixtes, des septièmes même, la résolution des intervalles dissonants sur des consonnances par mouvement contraire ; et bien plus encore, l’existence des notes de passage, du contrepoint double et des imitations[2].

Or, s’il est deux arts qui peuvent être comparés, ce sont certainement la

  1. Membre de l’Institut.
  2. Si l’on doute de nos assertions, on peut consulter l’excellent ouvrage de M. de Coussemaker sur cette matière, et les travaux de M. Félix Clément, qui a bien voulu nous fournir tous ces renseignements scientifiques (voy. les Annales archéol. de M. Didron).