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son art, que devant ces morceaux de bronze ou d’argent grossièrement travaillés, dont la valeur consiste dans le poids, et qui excitent bien plutôt la cupidité qu’ils n’émeuvent l’âme. Nous avons déjà parlé des autels de l’église abbatiale de Saint-Denis, et nous avons cherché à donner une idée de ce que pouvait être l’autel des reliques élevé dans son sanctuaire ; mais ce n’est là qu’une restauration dont chacun peut contester la valeur, heureusement plusieurs des autels secondaires de cette église célèbre ont été conservés jusqu’à nous en débris, ou nous sont donnés par de précieux dessins exécutés en 1797 par feu Percier[1]. C’est surtout dans ces autels que l’œuvre de l’artiste apparaît. Là point de retables ni de parements d’or ou de vermeil. La pierre est la seule matière employée, mais elle est travaillée avec un soin et un goût parfaits, recouverte de peintures, de dorures, de gravures remplies de mastics colorés ou d’applications de verre qui ajoutent encore à la beauté du travail, sans que jamais la valeur de l’œuvre d’art puisse être dépassée par la richesse de la matière. Nous donnerons d’abord l’autel de la chapelle de la Vierge située au chevet dans l’axe de l’église. Cet autel, élevé sur un pavé en terre cuite d’une grande finesse et qui dépend de l’église bâtie par Suger, est posé sur une seule marche en pierre de liais gravée et incrustée de mastics. Les gravures forment, au milieu d’une délicate bordure d’ornements noirs, un semis de fleurs de lis et de tours de Castille sur champ bleu verdâtre et rouge (voy. Dallage). Portée sur trois colonnettes et sur un dossier richement peint, la table de l’autel est simple et surmontée d’un retable en liais représentant, au centre, la sainte Vierge couronnée tenant l’enfant Jésus ; à droite, la naissance du Christ, l’adoration des Mages ; à gauche, le massacre des Innocents et la fuite en Égypte. Ces figures, d’un travail

  1. M. Percier, dont la prédilection pour les arts de l’antiquité ne saurait être contestée, était avant tout un homme de goût, et mieux que cela encore, un homme de cœur et de sens ; en revenant d’Italie, il vit l’église de Saint-Denis pillée, dévastée ; il ne put regarder avec indifférence les restes épars de tant de monuments d’art amassés pendant plusieurs siècles, alors mutilés par l’ignorance ou le fanatisme ; il se mit à l’œuvre, et fit dans l’ancienne abbatiale un grand nombre de croquis. Ces travaux portèrent leur fruit, et bientôt, aidé de M. Lenoir, il sauva d’une destruction complète un grand nombre de ces débris, qui furent déposés au musée des monuments français. Nous eûmes quelquefois le bonheur d’entendre M. Percier parler de cette époque de sa vie d’artiste ; il était, sans le savoir peut-être, le premier qui avait voulu voir et faire apprécier notre vieil art national ; le souvenir des monuments mutilés de Saint-Denis, mais qu’il avait vus encore en place, avait laissé dans son esprit une impression ineffaçable. À sa mort, M. Vilain, son neveu, héritier de ses portefeuilles, eut l’obligeance de nous laisser calquer toutes les notes et croquis recueillis dans l’église Saint-Denis ; grâce à ces renseignements si libéralement accordés, nous pûmes rassembler et recomposer les débris sortis du musée des Petits-Augustins. Quelques-uns des anciens autels de l’abbaye ont été ainsi facilement rétablis, beaucoup d’autres pourraient l’être à coup sûr ; car les nombreuses traces encore existantes dans les chapelles et les fragments déposés en magasin, montrent combien les croquis de M. Percier sont fidèles.