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trouvons épanouis vers 1220 ; les feuilles sont ouvertes à la base du crochet (voy. fig. 43) ; celui-ci est plus refouillé, plus dégagé, les boutons de fleurs ne sont plus enveloppés dans le paquet de feuilles, ils poussent de leur côté. La sculpture conserve encore cependant quelque chose de monumental, de symétrique, de conventionnel qui n’exclut pas la souplesse, non cette souplesse molle de la jeune pousse, mais la souplesse vigoureuse, puissante de la végétation qui arrive à son développement et peut braver les intempéries.

Si nous ne consultions que notre goût particulier, nous dirions que c’est là le point où la sculpture eût dû s’arrêter. Car, malgré leur exubérance de végétation, ces magnifiques chapiteaux du réfectoire de Saint-Martin-des-Champs conservent un caractère de force, de résistance qui est en rapport avec leur fonction. Ce sont, en même temps, et de riches couronnements de colonnes, et des encorbellements dont la forme énergique est en rapport avec la charge énorme qui s’appuie sur leur tête. L’œil est à la fois rassuré et charmé. Mais l’ornementation de l’époque ogivale ne pouvait s’arrêter en chemin, pas plus que le système général de l’architecture. Chaque jour les membres des moulures des arcs tendaient à se diviser ; on excluait les plans planes, et on les remplaçait par des tores, des boudins nervés, séparés par de profondes gorges. Les chapiteaux qui portaient ces nerfs déliés devaient subir de nouvelles transformations. D’abord ces larges feuilles si monumentales parurent lourdes ; on alla chercher dans les forêts des feuillages plus légers, plus découpés ; les crochets perdirent peu à peu leur forme primitive de bourgeons pour n’être plus que des réunions de feuilles développées se recourbant à l’extrémité de la tige. Ces transitions sont si rapides qu’il faut les saisir au passage ; d’une année à l’autre, pour ainsi dire, les changements se font sentir.

Dans la cathédrale de Nevers, monument qu’on ne saurait étudier avec trop de soin, à cause des curieuses modifications qu’il a subies, on voit encore, dans la nef, un triforium qui date de 1230 environ. Les chapiteaux de ce triforium sont exécutés par d’habiles sculpteurs, et ils présentent les dernières traces de l’ornementation plantureuse, grasse du commencement du XIIIe siècle, avec une tendance marquée vers l’imitation de la nature.

Nous donnons l’un de ces chapiteaux (44). Ses feuilles, bien qu’elles ne soient pas encore scrupuleusement reproduites d’après la flore, rappellent cependant déjà les feuilles des arbres forestiers de la France ; cela peut passer pour du poirier sauvage. La grosse tige du crochet est encore apparente derrière la branche de feuillage. Les têtes des crochets ne sont plus des bourgeons, mais se développent. Le tailloir est un polygone irrégulier ; c’est un carré dont les angles ont été abattus ; ce chapiteau conserve encore ses quatre crochets primitifs sous les petits côtés du polygone.

Vers 1230, il s’opère un nouveau changement ; on pose un crochet sous chacun des angles du tailloir ; autant d’angles saillants, autant de crochets, ou, pour mieux dire, de supports ; cela était logique. Mais alors aussi les