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les remparts une palissade de moyenne hauteur, formée de claies et de pieux, unis par l’osier flexible, afin que cette palissade, protégeant les travailleurs, reçoive les premiers coups et repousse les traits trompés dans leur direction. D’un autre côté, on fabrique des tours, que l’on nomme aussi beffrois, à l’aide de beaucoup d’arbres et de chênes tout verts que la doloire n’a point travaillés et dont la hache seule a grossièrement enlevé les branchages ; et ces tours, construites avec les plus grands efforts, s’élèvent dans les airs à une telle hauteur, que la muraille opposée s’afflige de se trouver fort au-dessous d’elles…

« À l’extrémité de la Roche et dans la direction de l’est (sud-est), était une tour élevée (la tour A, fig. 11), flanquée des deux côtés par un mur qui se terminait par un angle saillant au point de sa jonction. Cette muraille se prolongeait sur une double ligne depuis le plus grand des ouvrages avancés (la tour A) et enveloppait les deux flancs de l’ouvrage le moins élevé[1]. Or voici par quel coup de vigueur nos gens parvinrent à se rendre d’abord maîtres de cette tour (A). Lorsqu’ils virent le fossé à peu près comblé, ils y établirent leurs échelles et y descendirent promptement. Impatients de tout retard, ils transportèrent alors leurs échelles vers l’autre bord du fossé, au-dessus duquel se trouvait la tour fondée sur le roc. Mais nulle échelle, quoiqu’elles fussent assez longues, ne se trouva suffisante pour atteindre au pied de la muraille, non plus qu’au sommet du rocher, d’où partait le pied de la tour. Remplis d’audace, nos gens se mirent à percer alors dans le roc, avec leurs poignards ou leurs épées, pour y faire des trous où ils pussent poser leurs pieds et leurs mains, et, se glissant ainsi le long des aspérités du rocher, ils se trouvèrent tout à coup arrivés au point où commençaient les fondations de la tour[2]. Là, tendant les mains à ceux de leurs

  1. Il s’agit ici, comme on le voit, de tout l’ouvrage avancé dont les deux murailles, formant un angle aigu au point de leur réunion avec la tour principale A, vont en déclinant suivant la pente du terrain. La description de Guillaume est donc parfaitement exacte.
  2. La fidélité scrupuleuse de la narration de Guillaume ressort pleinement lorsqu’on examine le point qu’il décrit ici. En effet, le fossé est creusé dans le roc, à fond de cuve ; il a dix mètres de large environ sur sept à huit mètres de profondeur. On comprend très-bien que les soldats de Philippe-Auguste, ayant jeté quelques fascines et des paniers de terre dans le fossé, impatients, aient posé des échelles le long de la contrescarpe et aient voulu se servir de ces échelles pour escalader l’escarpe, espérant ainsi atteindre la base de la tour ; mais il est évident que le fossé devait être comblé en partie du côté de la contrescarpe, tandis qu’il ne l’était pas encore du côté de l’escarpe, puisqu’il est taillé à fond de cuve ; dès lors les échelles qui étaient assez longues pour descendre ne l’étaient pas assez pour remonter de l’autre côté. L’épisode des trous creusés à l’aide de poignards sur les flancs de la contrescarpe n’a rien qui doive surprendre, le rocher étant une craie mêlée de silex. Une saillie de soixante centimètres environ qui existe entre le sommet de la contrescarpe et la base de la tour a pu permettre à de hardis mineurs de s’attacher aux