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[clocher]
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remontant l’Orne, descend l’Eure jusqu’à Évreux. Un rameau passe le détroit et couvre l’Angleterre. Ces deux dernières écoles occupent la Neustrie. Sur notre carte, les divisions carlovingiennes sont indiquées par des lignes ponctuées. Pendant la première période carlovingienne, l’Aquitaine est, de toutes les provinces des Gaules, celle qui est la plus riche par son étendue, son territoire et le commerce qu’elle faisait avec la Bourgogne, le Nord et la Bretagne. C’est celle aussi qui fait pénétrer le plus loin l’influence de ses écoles d’architecture. La Neustrie, divisée par l’invasion normande, ne prend, jusqu’à la prédominance des suzerains français, qu’une influence limitée. Que l’on veuille bien examiner avec attention cette carte (fig. 61), on y trouvera l’occasion de faire de singulières observations. On voit, par exemple, qu’au XIIe siècle, malgré les révolutions politiques survenues depuis la division des Gaules faite par Charlemagne à sa mort, les populations avaient conservé presque intact leur caractère d’Aquitains, de Bourguignons, de Neustriens et d’Austrasiens. Nos lecteurs penseront peut-être que nous prenons la question de bien haut, à propos de clochers ; et nous ne devons pas oublier que nous avons, plus d’une fois depuis le commencement de cet ouvrage, été accusés de supposer des arts nationaux, des écoles qui n’existeraient que dans notre imagination ; il faut donc que nous développions notre thème, en adressant nos remercîments sincères à ceux qui nous obligent à accumuler les renseignements et les preuves propres à éclairer la question importante du développement de l’art de l’architecture sur le territoire occidental du continent européen.

Le clocher, plus qu’aucun autre édifice, nous facilite ce travail ; car, plus qu’aucun autre édifice, il indique les goûts, les traditions des populations ; il est le signe visible de la grandeur de la cité, de sa richesse ; il est l’expression la plus sensible de la civilisation à la fois religieuse et civile de cette époque ; il prend de l’importance en raison du développement de l’esprit municipal ; il se soustrait, plus que tout autre monument, aux influences monastiques ; c’est, pour tout dire en un mot, au XIIe siècle, le véritable monument national, dans un temps où chaque ville importante formait un noyau presque indépendant de la féodalité séculière ou cléricale. Le clocher peut être considéré comme le signe du développement industriel et commercial des cités. Les exemples que nous avons donnés jusqu’à présent sont autant de jalons que nous avons signalés, jalons qui sont posés sur les lignes tracées sur notre carte. Les preuves sont donc matérielles, palpables. Observons maintenant la direction de chacune de ces branches : elles suivent le cours des rivières, ce qui est naturel, ou des grandes voies commerciales qui existent encore aujourd’hui, voies qui ont singulièrement aidé au travail de centralisation du pouvoir monarchique. Prenons l’une de ces branches les plus étendues et qui ne tiennent pas compte du cours des rivières ; celle, par exemple, qui part de Périgueux, passe par Limoges, et vient aboutir à Chartres. Ne voyons-nous pas là la grande route centrale de Limoges à Paris, à peu