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[clocher]
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en pierre qui couronnent ces lucarnes sont taillés en croupes du côté de la flèche pour la dégager (voy. fig. 63). La flèche et les combles des lucarnes ont leurs parements taillés en écailles, et les arêtiers de la grande pyramide sont fournis de nombreux crochets. C’est là encore une innovation qui appartient au XIIIe siècle, et qui tendait à détruire la sécheresse de ces longues lignes inclinées des flèches. Avant d’en venir à garnir les arêtiers des flèches par des crochets feuillus, sorte de crête rampante, les architectes avaient fait d’autres tentatives. À Saint-Leu-d’Esserent, non loin de Senlis, est un clocher bâti vers 1160, dont la pyramide présente cette singularité d’arêtiers détachés de la flèche, et ne s’y reliant, comme des colonnettes inclinées, que par des bagues. Mais ce moyen étrange, employé pour éviter la sécheresse d’une ligne droite se détachant sur le ciel sans transition entre le plein et le vide, ne fut pas imité. Au-dessus des lucarnes, huit meurtrières, percées au milieu des faces de la pyramide, allégissent encore la partie supérieure du clocher. Ce qu’on ne saurait trop admirer dans ces compositions, c’est l’adresse avec laquelle les architectes conduisent l’œil du spectateur d’une base massive, carrée, à un couronnement aigu et léger, tout en réservant des points saillants qui, se profilant en dehors de la silhouette générale, détruisent la monotonie des grandes lignes, sans cependant les altérer. À ce point de vue, le clocher de la cathédrale de Senlis est une œuvre digne d’être étudiée avec soin ; ceux qui ont eu l’occasion d’élever des édifices de ce genre savent combien il est difficile d’obtenir d’heureux effets. Et les clochers modernes dans lesquels on a cherché cette harmonie générale, cette parfaite concordance des lignes, en même temps que l’effet pittoresque, sont là pour nous démontrer que l’on n’atteint que rarement à cette perfection. Le passage des parties verticales aux plans inclinés des flèches est un écueil contre lequel viennent presque toujours se briser les efforts des constructeurs. Les architectes, à dater de la fin du XIIe siècle, ont étudié avec grand soin et exécuté avec adresse ces parties importantes de leurs clochers, et tous les exemples précédents que nous avons donnés montrent que, s’ils ont enfin réussi d’une manière complète, ce n’a pas été sans de longs tâtonnements qui n’ont pas toujours été couronnés d’un plein succès. Ils avaient derrière eux des traditions, des exemples plus ou moins heureux, mais en grand nombre, qui pouvaient leur servir de guide ; tandis que nous, aujourd’hui, il nous faut aller chercher des modèles épars, dont nous ne pouvons retrouver les types originaux, et nous baser sur des exemples qui ne nous présentent que des superfétations de styles différents ou de diverses époques. Trop souvent alors on se laisse séduire par l’apparence d’harmonie que le temps a jetée sur ces constructions formées d’éléments dissemblables, et on est fort surpris, lorsqu’on a élevé un clocher copié sur ces édifices, de n’avoir produit qu’un assemblage disgracieux, incohérent, donnant des silhouettes malheureuses. Toute partie d’architecture qui se découpe immédiatement sur le ciel demande des calculs, et, plus encore, un sentiment exquis de la forme, car rien n’est