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moyen âge eussent dû s’en tenir là ; c’était la dernière limite à laquelle l’art de l’architecture pouvait arriver avant de tomber dans l’exagération et la recherche, et cette limite ne tarda pas à être franchie. La passion de la légèreté apparente des constructions, le désir d’élever des édifices surprenants, entraîna bientôt les architectes dans une voie fausse et qui, malgré la science qu’ils déployèrent, les fit sortir des limites du bon sens. Ce fut principalement vers les provinces de l’Est, voisines de l’Allemagne, que l’abus se fit sentir ; car longtemps encore, dans le domaine royal, les architectes conservèrent une certaine modération en appliquant les principes posés vers la fin du XIIIe siècle. Le clocher de la cathédrale de Strasbourg, fondé en 1277 et achevé sur les dessins dressés pendant le XIVe siècle par Jean de Steinbach, est le résumé le plus extraordinaire de l’abus du principe gothique. Chef-d’œuvre de science et de calcul, le clocher de Strasbourg ne produit qu’une silhouette assez disgracieuse, malgré les efforts de l’architecte, les combinaisons les plus hardies et les plus ingénieuses ; et n’était sa hauteur énorme, qui fait en grande partie sa réputation, on le regarderait avec raison plutôt comme une aberration savante que comme une œuvre d’art. Nous aurons l’occasion de parler de l’étage le plus important de ce clocher, la flèche, au mot Construction.

Nous ne croyons pas nécessaire de nous étendre longuement sur les clochers élevés pendant les XIVe et XVe siècles ; comme principe de construction et disposition générale, ils se conforment aux beaux exemples laissés par les architectes de la fin du XIIIe siècle, et n’en diffèrent que par les détails des moulures et de la sculpture, par l’excès de la légèreté. D’ailleurs, en France, les XIVe et XVe siècles n’eurent guère le loisir d’élever des constructions dispendieuses. Le XIIIe siècle n’avait laissé que peu de choses à faire en fait de monuments religieux, et les deux siècles suivants n’eurent qu’à compléter des constructions inachevées. Nous ne possédons pas un seul grand clocher complet élevé d’un seul jet pendant cette époque, tandis que l’Allemagne et l’Angleterre, à l’abri des guerres désastreuses qui ruinèrent alors notre pays, construisirent des tours d’église assez importantes. L’une des plus belles est le clocher de la cathédrale de Fribourg, bâti sur le porche de cette église. La flèche, fort aiguë, est complètement ajourée. Les architectes gothiques devaient nécessairement en venir là ; ils n’y manquèrent pas.

Nous devons mentionner, avant de passer aux campaniles et petits clochers d’églises paroissiales, certains grands clochers élevés sur les bords de la Haute-Garonne. Ces contrées, de Muret à Agen, ne possédant pas de matériaux calcaires, la brique fut presque exclusivement employée pendant les XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles, par les architectes. Toulouse possède encore un certain nombre de clochers bâtis en brique et dans la construction desquels cette nature de matériaux est employée avec un parfait discernement. Le principe de l’architecture gothique, soumis à la nature des matériaux mis en œuvre, devait nécessairement obliger les