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[cloître]
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banc pour s’asseoir et trous percés de distance en distance destinés à laisser tomber les eaux dans l’ancien chéneau, fut monté à 2m,00 au-dessus du niveau du premier égout. Ce cloître est d’une grande richesse comme sculpture : les colonnettes, les chapiteaux, le revêtement des piles sont en marbre gris ; le long du mur, une riche arcature reçoit le berceau. On sent, dans les sculptures aussi bien que dans les profils du cloître de Saint-Trophyme, l’influence des arts de l’antiquité romaine. Les piliers, décorés de statues, sont composés avec un grand art et ont fort bon air. Nous donnons (6) une vue d’une portion de la galerie et d’un pilier, prise sous la voûte.

Dans le cloître de l’abbaye de Moissac, couvert par une charpente et non par une voûte, on remarque sur les piliers qui sont disposés aux angles et interrompent l’arcature de distance en distance des figures en bas-relief d’assez grande dimension, sculptées sur des plaques de marbre ; elles représentent onze apôtres, et l’abbé Durand qui fit la dédicace de l’église en 1063. Cet abbé prend ainsi la place de l’un des douze apôtres, saint Simon. Le cloître de l’abbaye de Moissac se compose de fragments d’un monument du XIe siècle reposés lors de la reconstruction des bâtiments claustraux vers le commencement du XIIe siècle, quelques années avant l’époque où cet établissement religieux se soumit à la règle de Cîteaux. C’est ce qui explique la richesse des sculptures des chapiteaux et piliers de ce cloître, qui ne s’accorde pas avec la réforme que saint Bernard imposa aux constructions monastiques.

Les cisterciens adoptèrent, dans la construction des cloîtres de leurs abbayes, un caractère d’architecture particulier, propre à cet ordre, et qui mérite d’être étudié. Ils renoncèrent à ces délicates galeries recouvertes le plus souvent de charpente, et qui rappelaient encore l’impluvium antique, et, préférant les voûtes aux lambris dans toutes leurs bâtisses, repoussant la sculpture et les vains ornements, ils élevèrent des cloîtres remarquables par leur aspect de force et de durée. Ceux-ci se composent (au moment où cet ordre naissant éleva en peu d’années un nombre considérable de monastères sur toute la surface de l’Europe occidentale) de gros piliers portant des berceaux ou des voûtes d’arêtes, et entre lesquels est posée une claire-voie basse, trapue, qui a plutôt l’aspect d’une suite de baies dans un mur épais que d’un portique. Il ne reste plus trace des cloîtres des abbayes mères de Cîteaux et de Clairvaux ; mais nous en possédons un assez grand nombre qui sont contemporains de ceux-ci et ont été bâtis au moment de la ferveur des cisterciens. Dans le Midi, nous voyons encore debout ceux des abbayes de Thoronet (Var), de Silvacane, sur les bords de la Durance, de Sénanque (Vaucluse)[1], qui affectent ces formes sévères. Afin d’expliquer clairement quel était le programme donné par l’abbaye mère de Cîteaux à ses filles pour la construction des

  1. Voy. la Notice sur ces trois abbayes par M. L. Rostan. Bullet. monum., publ. par M. de Caumont, t. XVIII, p. 107.