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formidables afin de vendre leurs services plus cher aux rivaux de leur seigneur et de faire cause commune avec eux :

« Li Reis se fia as deniers[1],
K’il ont à mines, à sestiers[2]
En Normandie trespassa (passa),
Mult out od li grant gent e a
Od granz tonels, od grant charrei,
Fet li denier porter od sei.
As chastelains et as Barons
Ki orent turz (donjons) è forz maisons,
As boens guerriers et as marchis[3]
A tant doné è tant promis,
Ke li Dus Robert unt lessié,
Et por li Reis l’unt guerréié. »

C’est ainsi que, par suite de l’organisation féodale, même en Normandie où l’esprit national s’était maintenu beaucoup mieux qu’en France, les seigneurs étaient chaque jour portés à rendre leurs châteaux de plus en plus forts, afin de s’affranchir de toute dépendance et de pouvoir dicter des conditions à leur suzerain. Le château normand du XIe siècle ne consistait qu’en un donjon carré ou rectangulaire, autour duquel on élevait quelques ouvrages de peu d’importance, protégés surtout par ce fossé profond pratiqué au sommet d’un escarpement ; c’était là le véritable poste normand de cette époque, destiné à dominer un territoire, à fermer un passage ou contenir la population des villes. Des châteaux munis de défenses aussi étendues que celles d’Arques étaient rares ; mais les barons normands devenant seigneurs féodaux, en Angleterre ou sur le continent, se virent bientôt assez riches et puissants pour augmenter singulièrement les dépendances du donjon qui dans l’origine était le seul point sérieusement fortifié. Les enceintes primitives, faites souvent en palissades, furent remplacées par des murs flanqués de tours. Les plus anciens documents écrits touchant les manoirs et même les châteaux (documents qui en Angleterre remontent au XIIe siècle) désignent souvent la demeure fortifiée du seigneur par le mot aula, hall ; c’est qu’en effet ces sortes d’établissements militaires ne consistaient qu’en une salle défendue par d’épaisses murailles, des créneaux et des contreforts munis d’échauguettes ou de bretèches flanquantes. Les dépendances de la demeure seigneuriale n’avaient relativement qu’une importance minime ; en cas d’attaque sérieuse, la garnison abandonnait bientôt les ouvrages extérieurs et se renfermait dans le donjon, dont les moyens défensifs étaient formidables

  1. Le roi de France, afin de corrompre les vassaux du duc Robert de Normandie. Roman de Rou, vers 15960.
  2. Il avait de l’or à boisseaux.
  3. Marquis, seigneurs chargés de la défense des marches ou frontières.