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tions d’ensemble, ces vastes bâtiments d’ordre civil réclamés par nos besoins modernes prenant de jour en jour plus d’importance : c’est là encore un préjugé. Il faut dire que la plupart de nos grandes églises, debout encore aujourd’hui, font bien voir que, dans l’architecture religieuse, les constructeurs savaient entreprendre et mener à fin des monuments très-vastes ; mais pour les bâtiments civils du moyen âge, dénaturés pendant les derniers siècles, condamnés à une destruction systématique depuis la révolution, méprisés par nos édilités françaises, qui se donnent, en petit, le faible de Louis XIV, et veulent que tout dans leur ville rappelle leur passage…, pour nos bâtiments civils d’une date ancienne, disons-nous, ils sont devenus très-rares, et il n’est pas surprenant que les populations en aient perdu jusqu’au souvenir. Cependant il eût été bien étrange que des hommes capables de concevoir et d’exécuter de si vastes édifices religieux se fussent contentés, pour les besoins ordinaires de la vie, de petits bâtiments peu étendus, peu élevés, étroits, sortes de cabanes de chétive apparence. Il est certaines personnes qui voudraient faire croire, par suite d’un esprit de système dont nous n’avons pas à faire ici la critique, parce qu’il est complétement étranger aux idées d’art, que la société du moyen âge était enserrée entre l’église et la forteresse ; qu’elle était, par suite, hors d’état de concevoir et de mettre à exécution de ces grands établissements d’utilité publique réclamés par nos mœurs modernes ; qu’enfin elle vivait misérable, étouffée sous une oppression double, souvent rivale, mais toujours unie pour arrêter son développement. Au point de vue politique, le fait peut être discuté, ce n’est pas notre affaire ; mais, au point de vue de l’art, il n’est pas soutenable. Les artistes qui traçaient les plans de nos cathédrales n’étaient point embarrassés lorsqu’il s’agissait de construire de ces grands établissements civils, tels que des hospices, des collèges, des maisons de ville, des marchés, des fermes amplement pourvues de tous leurs services. Comme architectes, il nous importe peu de savoir si ces hôpitaux, ces collèges, ces fermes dépendaient d’abbayes ou de chapitres, si ces maisons de ville étaient fréquemment fermées par les suzerains, si ces marchés payaient un impôt au seigneur du lieu. Ces établissements existaient, c’est là tout ce que nous tenons à constater ; ils étaient bien disposés, bien construits, d’une manière durable et sage, c’est là ce qu’il faut reconnaître[1].

Prenons quelques exemples : examinons les belles dispositions des

  1. On peut comprendre l’esprit de passion qui fit détruire les châteaux et même les églises ; mais ce qu’il est plus difficile d’expliquer, c’est la manie aveugle qui a fait démolir en France, depuis soixante ans, quantité d’édifices civils fort bons, fort beaux, fort utiles, uniquement parce qu’ils étaient vieux, qu’ils rappelaient un autre âge, pour les remplacer par des constructions déplorables et qui coûtent cher, bien qu’elles soient élevées avec parcimonie et qu’elles soient souvent très-laides. Beaucoup de villes se sont privées ainsi d’établissements qui eussent pu satisfaire à des besoins nouveaux, qui attiraient l’attention des voyageurs, et qui, à tout prendre, leur faisaient honneur.