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lière construction. Il faut dire que les matériaux du pays (grès rouge) se prêtent à ces hardiesses ; on ne pourrait, avec nos matériaux calcaires des bassins de la Seine, de l’Oise ou de l’Aisne, se permettre l’emploi de linteaux aussi minces et d’une aussi grande portée[1]. Mais dans l’architecture civile et militaire, plus encore que dans l’architecture religieuse, la nature des matériaux eut une influence très-marquée dans l’emploi des moyens de construction : cet exemple en est une preuve. Les plates-bandes longitudinales entre les contre-forts et celles transversales d’un contre-fort à l’autre sont appareillées en coupes. Si nous faisons une section longitudinale sur ce bâtiment, chaque travée nous donne la fig. 131[2]. On ne peut se faire une idée de la grandeur magistrale de ces bâtiments si on ne les a vus. Ici, rien n’est accordé au luxe ; c’est de la construction pure, et l’architecture n’a d’autre forme que celle donnée par l’emploi judicieux des matériaux ; les points d’appui principaux et les linteaux sont seuls en pierre de taille ; le reste de la bâtisse est en moellon enduit. Nous avouons que cette façon de comprendre l’architecture civile a pour nous un attrait particulier. Il faut dire que le château de Hoh-Kœnigsbourg est bâti sur le sommet d’une haute montagne, huit mois de l’année au milieu des neiges et des brouillards, et que, dans une pareille situation, il eût été fort ridicule de chercher des formes architectoniques qui n’eussent pu être appréciées que par les aigles et les vautours ; que l’aspect sauvage de ces constructions est en parfaite harmonie avec l’âpreté du lieu.

À ce propos, nous nous permettrons une observation qui ne manque pas d’importance. Nous croyons être les premiers appréciateurs de ce qu’on appelle le pittoresque, parce que, depuis le XVIIe siècle, on ne trouvait plus de beautés que dans les parcs plantés à la française, dans les bâtiments alignés et symétriques, dans les terrasses revêtues de pierres et les cascades doublées de plomb. Sans nier la valeur de cette nature arrangée par l’art, il faut reconnaître cependant que la nature livrée à elle-même est plus variée, plus libre, plus grandiose et partant plus réellement belle. Un seigneur de la cour de Louis XIV ou de Louis XV préférait de beaucoup les parcs de Versailles ou de Sceaux aux aspects sauvages des gorges des Alpes ou des Pyrénées ; le duc de Saint-Simon, qui n’avait aucun emploi à la cour, aimait mieux demeurer dans un appartement étroit et sombre à Versailles que de vivre dans sa charmante résidence de la Ferté. Or nos seigneurs du moyen âge étaient au contraire sensibles à ces beautés naturelles, ils les aimaient parce qu’ils vivaient au milieu d’elles. Sans parler de l’appréciation très-vive de la nature que l’on trouve dans les nombreux romans du moyen âge,

  1. Au XVIe siècle, un accident obligea les propriétaires du château de Hoh-Kœnigsbourg à bander des arcs sous le plafond du premier étage.
  2. M. Bœswilwald, qui a relevé le château de Hoh-Kœnigsbourg avec le plus grand soin, a bien voulu mettre ses dessins à notre disposition.