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romaine, les influences byzantines et les habitudes locales. Une corniche, par exemple, pour l’architecte roman, est une tablette saillante destinée à éloigner du mur le bout des tuiles de la couverture, afin que les eaux pluviales ne lavent pas les parements. La tablette est simple ou décorée ; ce n’est toujours qu’une assise de pierre basse, dont le profil est donné par le caprice, mais qui ne remplit aucune fonction utile. N’étaient les tuiles qui couvrent ce profil, l’eau de la pluie coulerait le long des parements, car son tracé n’est pas fait en façon de coupe-larme, comme le larmier de la corniche grecque. Les architectes de l’époque de transition laissent de côté la corniche à corbeaux romane ; ils n’ont pas le loisir encore de s’occuper de ces détails ; ils ne pensent qu’à une chose tout d’abord, c’est à rompre avec les traditions antérieures. Mais lorsqu’ils eurent résolu les problèmes les plus difficiles imposés par leurs nouvelles méthodes de construction (voy. Construction), ils songèrent à appliquer aux détails de l’architecture les principes rationnels qui les dirigeaient. Ils ne voulurent plus de ces combles égouttant les eaux directement sur le sol ou sur les constructions inférieures : ils pensèrent, avec raison, qu’une corniche doit porter un chéneau, afin de diriger les eaux par certains canaux disposés pour les recevoir ; qu’il est utile de rendre l’accès des couvertures facile, pour permettre aux couvreurs de les réparer en tous temps. Dès lors ces corniches romanes, si peu saillantes, si faibles, ne pouvaient leur suffire, non plus que les minces tablettes qu’ils avaient placées sur leurs murs lorsqu’ils rejetèrent les corniches à corbeaux. Ils s’appliquèrent donc à chercher une forme convenable pour l’objet et qui n’empruntât rien aux traditions du passé. Cette forme, ils la trouvèrent et l’adoptèrent tout à coup ; car à peine si l’on aperçoit une transition, et c’est bien, sans qu’il soit possible de le contester, dans l’Île-de-France et la Champagne que cette nouvelle forme apparaît brusquement, c’est-à-dire au sein de cette grande école d’architectes laïques qui, à la fin du XIIe siècle, établit sur des principes nouveaux une architecture dont les formes étaient d’accord avec ces principes, nouvelles par conséquent.

Une des plus anciennes corniches gothiques qui existe est celle qui couronne les chapelles absidales de la cathédrale de Reims. Elle se compose d’une assise formant encorbellement, enrichie de crochets feuillus, et d’une seconde assise dont le profil est un larmier (15). Mais ici encore l’assise inférieure a, comparativement à l’assise supérieure, une grande importance ; le larmier rappelle encore la tablette de la corniche romane, et sur sa pente A, de distance en distance, sont réservées de petites surfaces horizontales que Villard de Honnecourt nomme des cretiaus, et qui permettaient d’abord aux ouvriers de marcher sur la saillie de ces larmiers, puis servaient à diviser les eaux tombant des combles ou découlant des parements et à les éloigner des joints ; car il faut remarquer que ces corniches ne devaient pas porter des chéneaux et gargouilles, mais qu’elles laissaient encore les eaux pluviales égoutter entre ces cretiaus.