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Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 4.djvu/448

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[crucifix]
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jubé, s’élevait « un grand crucifix qui, avec sa croix, n’était que d’une pièce, et, ajoute-t-il, le pied d’iceluy est fait en arcade d’une autre seule pièce, qui sont deux chefs-d’œuvre de taille et de sculpture. »

« Dans les temps primitifs, dit M. Didron[1], on voit la croix, mais sans le divin crucifié. Vers le VIe siècle, on parle d’un crucifix exécuté à Narbonne ; mais c’est un fait étrange et qui est signalé pour sa nouveauté. Au Xe siècle, quelques crucifix apparaissent çà et là ; mais le crucifié s’y montre avec une physionomie douce et bienveillante ; il est d’ailleurs vêtu d’une longue robe à manches, laquelle ne laisse voir le nu qu’aux extrémités des bras et des jambes[2]. Aux XIe et XIIe siècles, la robe s’écourte, les manches disparaissent, et déjà la poitrine est découverte quelquefois, parce que la robe n’est plus qu’une espèce de tunique[3]. Au XIIIe siècle, la tunique est aussi courte que possible ; au XIVe, ce n’est plus qu’un morceau d’étoffe ou même de toile qu’on roule autour des reins, et c’est ainsi que jusqu’à nos jours Jésus en croix a constamment été représenté. En même temps qu’on attriste la figure du crucifié et qu’on grave les souffrances physiques sur son corps divin, en même temps aussi on le dépouille de la robe et du petit vêtement qui le protégeaient… » En effet, le crucifix du musée de Cluny est couvert d’un court jupon à petits plis ; sa tête n’indique pas la souffrance physique, mais plutôt la bienveillance ; ses yeux sont ouverts ; sa coiffure n’est pas en désordre, et il ne paraît pas qu’une couronne d’épines ait été posée sur son chef. Les crucifix primitifs, comme ceux de Saint-Sernin et d’Amiens, ont la tête couverte d’une couronne royale. Au XIIe siècle, Jésus en croix est habituellement tête nue, et ce n’est qu’à dater du XIIIe qu’on voit la couronne d’épines ceindre son front penché vers la terre. Cependant la tendance vers le réalisme se fait déjà sentir à la fin du XIIe siècle. Il existe dans la sacristie de la cathédrale de Bordeaux un crucifix en ivoire d’une grande valeur comme œuvre d’art ; il appartient à la seconde moitié du XIIe siècle. On voit que l’artiste a cherché l’imitation de la nature, et le divin supplicié est un homme souffrant. La tête (1) conserve toutefois un calme et une grandeur d’expression qui méritent l’attention des artistes. Trois clous seulement attachent les membres du Christ, tandis qu’avant cette époque les clous sont au nombre de quatre. Les crucifix posés sur les jubés sont ordinairement accompagnés de la Vierge et de saint-Jean. La Vierge est placée à la droite du Sauveur, saint-Jean à sa gauche. Quelquefois un ange, au pied de la croix, reçoit le sang du Christ dans un calice. Dans les peintures et les vitraux, sur les retables des autels, on voit souvent, à la droite du Christ, l’Église qui reçoit le sang divin dans un calice ; à sa gauche, la Synagogue qui se détourne, et dont les yeux sont couverts d’un voile

  1. Iconographie chrétienne, histoire de Dieu, p. 241. Paris, 1843.
  2. Le crucifix de Saint-Sernin de Toulouse, celui d’Amiens.
  3. Plutôt un jupon.