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[cul-de-lampe]
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d’un arbre à fruits. Tournant le dos à cette figure, et au milieu du cul-de-lampe, est Jacques Cœur (ou du moins un personnage dont la tête rappelle ses traits) en élégant habit de seigneur, la dague au côté. De la main gauche il indique un petit bassin carré plein d’eau, à ses pieds, dans lequel se reflète l’image d’une tête barbue, couronnée, posée dans un arbre au-dessus de la fontaine. Un phylactère s’échappe à droite et à gauche de la tête royale.

À droite est une femme couchée sur un riche tapis jeté sur l’herbe fleurie ; elle est couronnée, et porte la main droite à sa couronne comme pour l’ôter ; de la main gauche, elle relève sa robe de dessus, doublée de fourrure. Un très-riche collier entoure son cou. L’extrémité droite du cul-de-lampe est occupée par un troisième arbre. Le geste de la femme est passablement équivoque, la démarche de l’homme est discrète ; il ne semble s’avancer qu’avec mystère. Nous ne connaissons pas de fabliau, de conte ou de roman qui puisse expliquer cette curieuse sculpture. On serait tenté d’y voir un des épisodes de la vie de Jacques Cœur, lequel avait été accusé par ses ennemis, auprès du roi, et afin de le perdre plus sûrement, d’avoir acheté les faveurs d’Agnès Sorel. Ici le personnage, que nous croyons représenter Jacques Cœur, semble sollicité par la femme couchée ; en montrant l’image du roi reflétée dans la fontaine, il paraît indiquer le témoin de la scène et recommander la prudence.

Si cette sculpture a été exécutée avant la disgrâce de Jacques Cœur, bien qu’elle fût placée dans une pièce secrète, il faut avouer que c’était là une singulière fatuité ou le fait d’une imprudence rare. Si elle ne fut sculptée qu’après sa réhabilitation (ce qui semblerait plus probable), cela ferait supposer qu’il tenait à placer devant ses yeux le souvenir d’une des causes principales de ses malheurs, comme une perpétuelle leçon. Le personnage du fou donnerait du poids à cette dernière hypothèse. N’est-il pas là pour montrer que les coureurs d’aventures galantes, fussent-elles de nature à flatter la vanité, ressemblent à ce fou qui passe son temps à attraper des mouches ?

Quoi qu’il en soit, cet exemple explique assez pourquoi la sculpture des culs-de-lampe, dans les édifices du moyen âge, mérite d’être observée ; elle peut aider parfois à expliquer des faits tenant aux mœurs, ou certains épisodes historiques d’un grand intérêt.

Voici (18) la reproduction du cul-de-lampe que nous venons de décrire[1], et dont malheureusement la partie inférieure a été mutilée.

Dès le XIIe siècle, les constructeurs portaient souvent des tourelles contenant des escaliers ou servant d’échauguettes sur des contre-forts d’angles ; mais la circonférence de ces tourelles débordant sur une par-

  1. Notice pittoresque sur les antiq. et monum. du Berri, publiée par M. Hazé, 1834. M. Hazé a signalé le premier l’existence de cette curieuse sculpture du palais de Jacques Cœur.