Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 4.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[principes]
[construction]
— 61 —

gence et de leurs mains, sans comprendre l’esprit libéral qui les anime. Que d’autres entreprennent une tâche tracée seulement ici par nous : elle est belle et faite pour exciter les sympathies ; elle embrasse des questions de l’ordre le plus élevé ; elle éclairerait peut-être certains problèmes posés de nos jours et qui préoccupent, non sans cause, les esprits clairvoyants. Bien connaître le passé est, nous le croyons, le meilleur moyen de préparer l’avenir ; et de toutes les classes de la société, celle dont les idées, les tendances, les goûts varient le moins, est certainement la classe laborieuse, celle qui produit. En France, cette classe demande plus ou autre chose que son pain de chaque jour : elle demande des satisfactions d’amour-propre ; elle demande à conserver son individualité ; elle veut des difficultés à résoudre, car son intelligence est encore plus active que ses bras. S’il faut l’occuper matériellement, il faut aussi l’occuper moralement ; elle veut comprendre ce qu’elle fait, pourquoi elle le fait, et qu’on lui sache gré de ce qu’elle a fait. Tout le monde admet que cet esprit règne parmi nos soldats, et assure leur prépondérance : pourquoi donc ne pas reconnaître qu’il réside chez nos artisans ? Pour ne parler que des bâtiments, la main-d’œuvre a décliné chez nous aux époques où l’on a prétendu soumettre le labeur individuel à je ne sais quelles règles classiques établies par un pouvoir absolu. Or, quand la main-d’œuvre décline, les crises sociales ne se font guère attendre en France. De toutes les industries, celle des bâtiments occupe certainement le plus grand nombre de bras, et demande, de la part de chacun, un degré d’intelligence assez élevé. Maçons, tailleurs de pierre, chaufourniers, charpentiers, menuisiers, serruriers, couvreurs, peintres, sculpteurs, ébénistes, tapissiers, et les subdivisions de ces divers états, forment une armée innombrable d’ouvriers et d’artisans agissant sous une direction unique, très-disposés à la subir et même à la seconder lorsqu’elle est éclairée, mais bientôt indisciplinée lorsque cette direction est opposée à son génie propre. Nos ouvriers, nos artisans n’écoutent et ne suivent que ceux qui peuvent dire où ils vont et ce qu’ils veulent. Le pourquoi ? est perpétuellement dans leur bouche ou dans leurs regards ; et il n’est pas besoin d’être resté longtemps au milieu des ouvriers de bâtiments, pour savoir avec quelle indifférence railleuse ils travaillent aux choses dont ils ne comprennent pas la raison d’être, avec quelle préoccupation ils exécutent les ouvrages dont ils entrevoient l’utilité pratique. Un tailleur de pierre ne travaille pas le morceau qu’il sait devoir être caché dans un massif avec le soin qu’il met à tailler la pierre vue, dont il connaît la fonction utile. Toutes les recommandations du maître de l’œuvre ne peuvent rien contre ce sentiment. C’est peut-être un mal, mais c’est un fait facile à constater dans les chantiers. Le paraître est la faiblesse commune en France ; ne pouvant la vaincre, il faut s’en servir. On veut que nous soyons Latins, par la langue peut-être ; par les mœurs et les goûts, par le caractère et le génie, nous ne le sommes nullement, pas plus aujourd’hui qu’au XIIe siècle. La coopération à l’œuvre commune est active, dévouée, intelligente